Automne 1918 : nombreuses mutineries secouent les armées de l’Empire allemand, alors déployées par-delà les frontières à l’ouest comme à l’est, sur terre comme en mer. L’Empereur Guillaume II, pantin de Dracula, perd lentement le soutien de ses généraux et de son peuple. Le 9 novembre 1918, il est contraint d’abdiquer et renonce au trône allemand comme au trône de Prusse. Les autres souverains de l’Empire n’auront d’autre choix que de se plier à sa décision. La République est proclamée.

Janvier 1919 : le gouvernement provisoire organise une élection à laquelle les Allemands de plus de vingt ans, hommes et femmes, peuvent prendre part. L’Assemblée nationale constituante, également connue sous le nom d’Assemblée nationale de Weimar, voit le jour. En février 1919, elle se réunit à Weimar (Thuringe) pour élire un nouveau président, Friedrich Ebert, et établir les bases de la Constitution de Weimar, première constitution démocratique de l’histoire allemande. Adoptée le 31 juillet et mise en vigueur le 11 août, cette constitution pose les bases d’un nouveau régime politique qui durera jusqu’en 1933 : la République de Weimar.*
La Constitution de Weimar établit, entre autres :
le statut de République de l’Allemagne ;
le gouvernement composé d’un président, d’un chancelier et d’un parlement (Reichstag pour représenter le peuple et Reichsrat pour représenter les Länder) ;
le droit de vote des hommes et femmes de plus de vingt ans ;
les droits civils et responsabilités des citoyens, suspensibles par le Président en cas d’urgence ;
la liberté d’expression des citoyens, le droit au rassemblement, la liberté de religion (indépendance de l’Église et de l’État) ;
l’accès à l’éducation publique obligatoire pour les enfants.

Juin 1919 : le Traité de Versailles est signé par l’Allemagne et les Alliés le 28 juin, cinq ans après l’attentat de Sarajevo ayant déclenché la Guerre. Ratifié dans la Galerie des Glaces du château de Versailles, l’accord de paix, qualifié de Diktat, permet la création de la Société des Nations et impose une série de sanctions au Reich, en rétribution de ses actes. L’Allemagne perd ses colonies africaines, une partie de ses territoires européens, est contrainte de réduire considérablement sa puissance militaire et forcée à payer de lourdes réparations économiques au Alliés.


* À noter que les termes République de Weimar ont été accordés par les historiens après l’effondrement de ce gouvernement. L’Allemagne continue de porter le nom de Reich allemand entre 1918 et 1933.


Situation en 1921

Politique :
Affaiblie par les sanctions du traité de Versailles, usée par les relents de la guerre, marquée par la sensation d’avoir été vaincue, non parce que l’ennemi s’était montré plus puissant, mais par décision politique (voir Dolchstoß ), l’Allemagne souffre, dès les premiers jours de la République de Weimar, d’une importante instabilité politique et sociale. Avec plus de 40 partis différents, le gouvernement est fragilisé par son propre régime et divisé entre démocrates, socialistes et communistes.

En 1919, la Bavière est déclarée république soviétique. S’ensuivent une série de putschs qui échouent systématiquement mais creusent davantage le fossé entre les différents courants de pensée allemands. En mars 1920, le Parti conservateur tente de renverser la République en marchant sur Berlin, accompagné de milliers de soldats. Le gouvernement en place est contraint de fuir puis de faire appel à ses alliés politiques. Les grèves générales et manifestations organisées en réponse poussent les militaires à baisser les armes. Mais l’instabilité persiste et gronde. Un an plus tard, les communistes s’insurgent en plein cœur de Berlin. Si l’armée est envoyée pour pacifier la zone, la colère fragilise davantage encore la République.

Age d'or et décadence :
L’Allemagne, auparavant conservatrice, connaît subitement une forme de libération découlant tant des horreurs de la guerre que des contraintes imposées par le traité de Versailles. Dans les zones urbaines, notamment, s’impose une volonté d’oublier la précédente décennie à grands renforts d’excès et de décadence.

Un contraste marquant se dessine entre les strates prolétaires de la société, l’ancienne noblesse et la nouvelle classe bourgeoise dont l’enrichissement subit permet l’émergence, dans les villes, de nombreux clubs et lieux de rencontre. Quand les gueules cassées, pourtant héros de la nation, font face à un chômage crevant, la jeunesse dorée oublie la réalité en côtoyant les politiques et artistes en vogue dans les dancings et cabarets les plus fréquentés. La mode devient un moyen d’expression personnelle plus qu’un marqueur de statut social ; lentement, elle se démarque des tenues encore rigides du début du siècle (plus d’informations ici). L’usage de drogue est fréquent et légal (le lien entre consommation et addiction n’ayant pas été étudié à l’époque). La cocaïne est reine de toutes les soirées, suivie de près par l’héroïne et les tranquillisants ; nombreuses seront les personnalités connues pour leur consommation excessive.

La prostitution, quoique toujours condamnée par certains esprits traditionalistes, devient courante avec des réseaux entiers de femmes mais également d’hommes pullulant aux quatre coins du pays, soutenus par des organisations criminelles de plus en plus nombreuses dans les villes.



En 1920, la Loi formant le Grand-Berlin fait de la capitale l’une des plus grandes villes industrielles d’Europe, traversée dès 1921 par la première autoroute du monde. Mais c’est avant tout par sa scène nocturne qu’elle rayonne : une frénésie s’empare de la ville, la hissant au rang de métropole culturelle incontournable. Les plus grands intellectuels, les artistes et les nouveaux riches convergent vers Berlin. L’art, la mode et la politique s’y décident, notamment dans les clubs où la scène se fait le lieu de critique par excellence de la vie berlinoise et de ses excès.

Capitale homosexuelle :
En quelques mois seulement, Berlin devient la capitale homosexuelle de l’Europe et attire des visiteurs venus de tous les horizons et de toutes les orientations. Cabarets réservés aux hommes et dancings aux femmes, bals travestis et lieux de rencontres se multiplient dans la ville entière, pourtant encore soumise au Paragraphe du Code pénal allemand criminalisant depuis 1871 l’homosexualité masculine. La répression, active dans les lieux publics, fait plusieurs centaines de condamnations par an et pousse nombreux Berlinois au militantisme.

Paradoxalement, une relative tolérance règne dans les rues, et les clubs privés semblent épargnés par les forces de police. L’Institut de sexologie de Berlin est le premier lieu de promotion de la recherche scientifique de l’ensemble de la vie sexuelle et l’information en Allemagne. Révolutionnaire, il édite notamment un « laisser-passer » destiné aux travestis, visant à leur épargner les arrestations liées au port de vêtements associés au sexe opposé et les suspicions de prostitution homosexuelle.

Capitale violente :
Il n’est rien à cette époque qui puisse dépasser les limites. Ville de tous les plaisirs, zone de tourisme sexuel homosexuel, métropole décadente, Berlin est connue pour son rythme de vie effreiné mais également pour sa violence. Le contraste entre les classes sociales et les quartiers aisés ou pauvres se fait cruellement ressentir. Les rues comme les parvis des dance-halls deviennent le théâtre de combats sanglants entre idéaux contraires ou gangs cherchant à asseoir leur domination sur un quartier ou un autre, se battant pour obtenir de plus grandes parts dans un trafic de drogues ou un réseau de prostitution. Une ambiance sordide règne par endroits, à peine contrebalancée par l’agitation qui fait vibrer le reste de la ville.

Les règlements de compte entre organisations criminelles tiennent pourtant les habitants en haleine. Dans toute la ville, le public s’intéresse aux crimes des gangs avant de se fasciner pour les meurtres sexuels et crimes passionnels, qui font souvent la une des gazettes locales et inspirent des histoires courtes publiées chapitre par chapitre dans les journaux du coin.


La République de Weimar devient un centre artistique et créatif où l’innovation et l’expérimentation sont les maîtres-mots. L’absence de censure d'État, définie dans la Constitution de 1919, permet une expression culturelle sans précédent, tant dans les arts visuels que le cinéma, l’architecture, la danse, la musique, le théâtre ou encore l’artisanat, qui dépassera les frontières de l’Allemagne et séduira nombreux artistes européens.

L’expresionnisme allemand :
Mouvement politique et engagé, l’expressionnisme allemand se retrouve avant tout en peinture et au cinéma. Deux écoles, deux courants le composent : Die Brücke (le Pont) d’un côté, à Berlin et Dresde ; Der Blaue Reiter (Le Cavalier Bleu) de l’autre, originaire de Munich. Romantique, subjectif, brut dans ses émotions et ce qu’il cherche à transmettre, l'expressionnisme allemand cherche avant tout à faire le pont entre le XIXe siècle et le futur. Lassés de l’Académie et de la représentation réaliste du monde, les artistes expressionnistes inventent une peinture supposée exprimer les émotions à grands coups de pinceaux et de traits de couleurs qui rendent leurs créations fortes et spontanées et leur vaudra le titre d’artistes “dégénérés” sous le régime nazi.

Le mouvement dada (dadaïsme) :
La République de Weimar devient un centre artistique et créatif où l’innovation et l’expérimentation sont les maîtres-mots. L’absence de censure d'État, définie dans la Constitution de 1919, permet une expression culturelle sans précédent, tant dans les arts visuels que le cinéma, l’architecture, la danse, la musique, le théâtre ou encore l’artisanat, qui dépassera les frontières de l’Allemagne et séduira nombreux artistes européens.

Le Bauhaus :
Fondé en 1919 à Weimar par Walter Gropius, la Staatliches Bauhaus est un institut des arts et métiers mêlant art, modernisme et ingéniosité, dont le but final est de faire de l’architecture le produit des arts conjugués. L’école offre un enseignement novateur permettant aux étudiants de devenir maîtres dans les domaines du design, des arts plastiques, de la photographie, du théâtre ou encore de la danse, jouant ainsi le rôle de laboratoire de la créativité où des artistes de tous horizons peuvent collaborer et vivre ensemble. Hommes et femmes, quel que soit leur âge ou leur passé, se réunissent en une communauté soudée, bien qu’hétéroclite, organisant fréquemment des fêtes indécentes relatant bien la décadence de l’époque. L’école déménagera à Dessau puis à Berlin, où elle sera fermée temporairement en 1930 puis définitivement en 1933 par le parti nazi, qui la juge affiliée au bolchevisme et distributrice d’un art dégénéré.