Aurelius Lehmann - Serviteur à quatre pattes

Le valet du Baron d'Offenberg, un loup garou ? Qui l'aurait cru ? Ce sale cabot n'a donc aucune compassion envers les membres de sa propre espèce ? En entendant ces mots, Aurelius se contentait de baisser la tête, ignorant les paroles acerbes des partisans de Dracula et de son second. Lorsque ce dernier reçoit dans son immense demeure, le valet ne manque pas de soulever bon nombre de commentaires surpris et dédaigneux. Son odeur de loup garou en insupporte plus d'un. Mais son travail et son obéissance envers le Baron achèveront de disperser les derniers préjugés sur son efficacité. Pour ce qui est de son odeur... Un peu d'encens et il n'en paraîtra plus. Tout le long des festivités, le loup, lui, sera resté silencieux, proposant des verres aux convives, écoutant les ordres et servant les repas. Il s'estimait heureux, sa famille était encore en vie, et il n'avait pas à subir les morsures de ces parasites.
Qui aurait cru que ce loup garou arriverait jusqu'ici ? Personne, bien entendu. Aurelius est né dans une famille de domestiques. Le père Lehmann portait très bien son nom, puisqu'il était le majordome de la famille Liddel. Aurelius était le deuxième fils d'une famille de quatre enfants. Il apprit le métier de domestique auprès de ses parents. Mais Aurelius n'avait pas d'autres ambitions que de servir l'Allemagne. Il voulait entrer dans l'armée, et monter les échelons pour, au final, diriger des troupes et faire honneur à son pays. Le père Lehmann, satisfait de voir son cadet choisir une voix aussi noble, l'encourageait dans cette entreprise et Aurelius vécu une enfance heureuse, dans une famille aimante qui le soutenait. Il grandit également auprès des enfants de la famille Liddel, dont Hannah, une jeune fille de deux ans sa cadette au caractère bien trempé. A l'adolescence, il était devenu un jeune homme svelte aux courts cheveux noirs et aux yeux bleus, qui ne manquait jamais de faire succomber les demoiselles. Le jeune homme restait cependant sur ces positions et intégra une prestigieuse école militaire, qui le forma à devenir un soldat exemplaire et redoutable au combat. Durant ces années de formation, Aurelius devint un homme qualifié et paré à servir sa patrie. C'est durant cette période qu'il découvrit qu'il était amoureux fou de son amie d'enfance, Hannah. Il la courtisa à la manière des bonnes gens de sa génération, et la jeune fille, jouant à un subtil jeu romantique, le fit patienter de longs mois avant de succomber aux charmes du jeune homme.

Rejoignant un régiment d'artillerie basé à proximité de la capitale, Aurelius quitta donc le foyer familial pour s'installer avec ses compagnons d'armes. Il avait à peine dix neuf ans. Hannah avait accepté sa demande en mariage. Épouser un militaire était l'occasion de s'assurer un avenir stable. La solde tombait à date fixe et, si elle n'était guère importante pour le moment, elle augmenterait avec les années. Le mariage devait arriver dans l'année suivante et les deux futurs mariés étaient terriblement nerveux. Mais tout se déroula pour le mieux et le 16 mai 1908, Hannah Lehmann dansait dans les bras de son nouvel époux. La famille Lehmann mariait son deuxième fils et était au comble de la joie. Ils avaient déjà marié leur aîné l'année précédente et ce dernier travaillait aux côtés du père pour la famille Liddel.   L'union entre Aurelius et Hannah semblait être sous de bons augures, car seulement un an après, la jeune femme accoucha d'un petit garçon nommé Jacob. Le couple s'installa dans un charmant petit appartement dans la capitale, non loin du lieu où travaillait Aurelius. Hannah profita de la petite enfance de leur fils pour faire une formation de gouvernante. Rien ne semblait pouvoir attenter au bonheur du jeune couple et de leur enfant nouveau né.

Cela arriva une nuit d'exercice. Le bataillon était sorti dans la forêt pour un exercice devant durer plusieurs jours. Le caporal Lehmann, arme à la main, courait en compagnie de ses compagnons d'armes sur un chemin glissant, situé sur le flanc d'une falaise. Ce qui devait arriver arriva, car l'un des hommes glissa et entraîna le caporal dans sa chute sans le vouloir. Les deux hommes dégringolèrent le long de la falaise. A chaque impact contre la pierre, Aurelius entendait le son de ses os brisés se mêler à ses cris. Lorsqu'il percuta le sol, il sut que c'était déjà la fin pour lui. Son corps était brisé, ses organes transpercés, il ne lui restait plus que quelques minutes à vivre. Avant de sombrer, il cru apercevoir une forme sombre se pencher sur lui avec un grondement sourd.
Lorsqu'il se réveilla il était non seulement vivant mais il ne se trouvait plus au pied de la falaise. A ses côtés se trouvait une femme rondelette aux boucles sombres et aux joues rougies par le feu. Ce qui étonna le plus Aurelius à son réveil fut l'absence de douleur dans ses membres, mais une autre, beaucoup plus sourde, à la naissance de son cou. La femme, nommée Edda, essuya son front luisant de fièvre et lui donna de l'eau. D'une voix balbutiante, il demanda ce qu'il s'était passée. Edda lui expliqua qu'elle l'avait trouvé quelques secondes après sa chute, brisé et mourant. Elle chassait alors un daim, et le fracas et les cris avaient fait fuir la bête. Elle avait d'abord pensé à achever les deux malheureux et c'est ce qu'elle fit pour le premier. Mais pour le second, en revanche, elle n'en trouva pas la force car, d'après ce qu'elle expliquait, ses yeux lui rappelaient ceux de son fils disparu. Aurelius écoutait, ne comprenant pas, mais Edda continuait son récit. Elle avait donc décidé de le sauver. Elle l'avait mordu, injectant ainsi le venin des loups garou et c'était cela qui l'avait aidé à guérir de ses blessures. Aurelius refusait d'y croire et, délirant de fièvre, il ne cessait d'appeler ses hommes, sa femme ou même ses parents. Il proclamait que les loups garous n'existaient pas, et demanda la vérité. Edda lui demanda de se reposer, et lui dit qu'il aurait les réponses à toutes ses questions à la prochaine pleine lune.

Sa convalescence fut longue et, la pleine lune arriva alors qu'Aurelius se préparait à fuir les lieux. Il était reconnaissant à Edda de l'avoir sauvé, et il était surpris d'avoir apparemment guéri aussi vite, mais sa famille lui manquait terriblement. Alors qu'il s'habillait, pensant profiter du sommeil des autres habitants du lieu, il entendit un hurlement. Il se figea. Des loups ? Ici ? Il allait devoir se montrer prudent. Alors qu'il franchissait la porte de la cabane une grande douleur le prit, au plus profond de son être. Les minutes qui suivirent ne furent que souffrance et incompréhension. Il sentait ses os bouger, se transformer,  forcer les muscles à en faire de même, et il ne pouvait rien faire pour l'en empêcher. Il vit ses mains se couvrir d'une épaisse toison noire, ses ongles se transformer en griffes aiguisées et ses paumes devenir des coussinets. Pendant ces quelques minutes qui lui semblèrent une éternité, il eu l'impression qu'il allait mourir, encore une fois. Lorsque la douleur s'arrêta, il ouvrit les yeux pour découvrir le monde sous un tout nouveau jour. Et il avait faim, terriblement faim. Il peina d'abord à se remettre sur ses pattes mais, après quelques tentatives, il y parvint et parti dans la forêt, à l'affût de la moindre odeur, du moindre bruit.
Quand il se réveilla, le matin suivant, il était au plus profond de la forêt, nu, et il avait les mains, la bouche et le menton couvert de sang. Edda le trouva quelques heures plus tard, prostré, en larmes et elle le ramena chez elle, après lui avoir donné une couverture. Elle lui expliqua que le sang était celui d'un chevreuil, et lui dit qu'à présent, il devrait rester avec elle, le temps qu'il apprenne à se contrôler.

Ainsi donc débuta la nouvelle vie d'Aurelius. Il construisit, avec l'aide d'Edda et d'autres loups habitant les environs, une cabane en apparence toute simple et il y fit venir sa famille. Hannah mit beaucoup de temps à accepter la nouvelle condition de son époux, qu'elle avait cru mort pendant plusieurs semaines. A son retour à la maison, elle avait manqué de s'évanouir, croyant voir un fantôme, et de lâcher leur deuxième enfant, Karl, âgé de seulement trois mois. Lorsqu'elle avait appris que son époux avait chuté d'une falaise lors d'un exercice, son monde s'était écroulé. Elle se retrouvait seule, avec deux enfants en bas âge, et sans travail. Elle avait perdu l'amour de sa vie, son pilier, et l'une de ses raisons de vivre. Les semaines suivantes, elle trouvait à peine la force d'allaiter le bébé, et ce fut la voisine qui vint l'aider lorsqu'elle était trop abattue pour faire quoi que ce soit. Le jour où elle eu des nouvelles d'Aurelius, elle cru à toute sortes de choses, et non pas à la survie de son époux. Ce dernier, lorsqu'elle le rejoignit dans la forêt, lui expliqua ce qu'il s'était passé, et il lui demanda de rester avec lui. Hannah trouva son mari changé, mais, folle de joie et d'amour, accepta sans savoir dans quoi elle s'engageait.
Les mois suivants furent difficiles. Grâce à Edda, Aurelius trouva rapidement ses repères dans la forêt, et leur petite cabane devint pour lui très confortable. Hannah, habituée à plus de confort, n'était pas du même avis. Elle ne comprenait pas pourquoi ils devaient se cacher ici. Son mari était il un déserteur ? Il était pourtant considéré comme étant mort, alors pourquoi ne pas revenir à Berlin et reprendre leur vie d'avant ?   Elle eu la réponse lors de la pleine lune. Lorsqu'elle vit, depuis la fenêtre de leur cabane, son mari se transformer en une horrible bête, elle voulu fuir, mais Aurelius les avait enfermé à l'intérieur pour leur sécurité.

Était ce par amour pour son époux qu'elle resta ? Ou par peur des autres loups garous ? Elle ne pu jamais répondre à cette question, mais elle ne quitta pas Aurelius. Elle resta à ses côtés, l'aidant à surmonter ses crises d'angoisses lorsqu'il revenait à la cabane couvert de sang, nettoyant ses mains et ses pieds boueux. Elle ne lui demandait qu'une seule chose : qu'il apprenne vite à se contrôler, car elle avait peur pour leurs enfants. Les deux bambins grandissaient et jouaient dans la forêt avec les autres enfants de la meute. Car Aurelius, sans le savoir au début, avait rejoint une importante meute habitant cette forêt la. Les membres, tous habitant dans de petites cabanes, veillaient farouchement sur leur territoire et Edda était avec son compagnon les alphas. Ce dernier était rarement là, parcourant sans cesse leur vaste territoire pour faire comprendre aux autres meutes qu'il était le plus fort. Au fil des années, Aurelius apprit à contrôler la bête qui vivait en lui et, avec le temps, il en vint même à attendre la pleine lune avec impatience. Il était avide de la liberté qu'offrait le loup et était devenu un chasseur habile. Ils vivaient à l'écart de tout, vivant des bienfaits de la forêt. Ils ne se rendaient en ville que lorsqu'il le fallait, et c'est alors qu'ils entendirent parler de la guerre. Elle n'avait débuté que depuis quelques mois et avait vidé la capitale de ses jeunes hommes. Aurelius avait le choix. Se terrer dans la forêt pour achever d'apprendre à contrôler son loup, ou partir au combat, répondant à son esprit patriotique. Le jeune loup ne réfléchit pas longtemps. Il partit au front, avec d'autres frères loups. Les quatre années de guerre furent difficile et ses atouts de loup garou lui ont permis de rester en vie durant tout ce temps. Il revint auprès des siens, défait et morose, dégoûté d'avoir du prendre autant de vies pour rien.  Il retrouva sa femme et ses enfants qui, pendant tout ce temps, avaient aidé les louves à subvenir aux besoin de la meute. Les garçons avaient grandi et étaient devenus de solides bambins. Aurelius avait pendant quelques secondes pensé à les transformer avant de se dire que cela ne servirait à rien de leur imposer cela. Ils étaient heureux ainsi et il s'en voudrait de les voir supporter une transformation.

Aurelius était désormais un loup depuis bon nombre d'années et, malgré la guerre qui l'avait rendu quelques beaucoup plus réservé qu'avant, il s'estimait heureux d'avoir trouvé sa place et de voir sa famille heureuse. Ses enfants allaient à l'école, sa femme travaillait en tant que gouvernante. Mais du côté des loups garou, la tension ne faisait que monter. Dracula était monté au pouvoir et les vampires massacraient les loups qui se trouvaient sur leur chemin. La meute d'Edda ne tarda pas à en subir les conséquences. Ils durent se cacher. Lors des nuits de pleine lune, ils ne partaient plus chasser le daim mais le vampire. Beaucoup de loups ne revenaient jamais de ces expéditions. Entre les lunes, les loups se cachaient, priant pour ne pas être trouvés. Aurelius bouillonnait. Combien de temps ce jeu du chat et de la souris allait encore durer ? Il eu la réponse à sa question quelques nuits plus tard. Il dormait, serrant sa femme contre lui, et ses fils dans la pièce d'à côté, quand Jacob vint le réveiller. Les vampires étaient là. Ils pouvaient entendre les cris des autres loups ainsi d'autres bruits, beaucoup plus affreux. Le jeune homme réunit sa famille et allait prêter main forte aux autres loups quand la porte de leur foyer vola en éclat.
Un vampire fit irruption et, répondant à cette hargne qui l'avait tant habité pendant la guerre, Aurelius défendit sa famille. Il ne put le faire bien longtemps, tant le vampire était puissant. Quelques minutes après le début du combat, il gisait sur le sol, gravement blessé à la poitrine. Il ne sut jamais ce qu'il se passa par la suite. Il se réveilla dans les geôles du Baron d'Offenberg. Sa blessure le faisait encore souffrir mais il s'inquiétait plus du sort de sa famille. Le Baron vint lui rendre visite, lui disant qu'il avait épargné sa vie, et que le loup devait lui en être reconnaissant. Il lui expliqua qu'il tenait sa famille captive dans un lieu secret et que le reste de la meute avait été décimée. Dévasté, Aurelius allait se laisser envahir par le chagrin quand le vampire l'attrapa par la gorge pour lui dire ces quelques mots : "A partir de maintenant, tu me serviras, ou je donne ta famille en pâture à mes vampires"

Aurelius aurait pu refuser, il aurait pu se donner la mort d'une manière ou d'une autre, il aurait pu attaquer le vampire et finir en charpie, mais il ne le fit pas. Il n'était même pas sûr que sa famille soit encore en vie. Il n'avait pas confiance envers le vampire, mais il n'avait pas le choix. Si les siens étaient encore en vie, il devait tout faire pour les sauver. Il accepta donc de servir Ludwig et devint son valet. Depuis lors Aurelius travaillait pour lui, exécutant les tâches domestiques. Lorsque Ludwig lui ordonna d'approcher le Club Diogène, Aurelius obéit, trouvant le moyen de travailler pour cette organisation en temps que comète. Toutes les informations récoltées finissaient dans la demeure de Ludwig et, pour l'heure, personne ne soupçonne ce loup garou peu souriant, à l'aspect si sérieux mais à la fidélité sans faille.