Alexander - Le Prince devenu Ombre

Nous n'avions que 2 ans d'écart, presque rien pour des jeunes de 12 et 14 ans. Pourtant notre écart de talent se ressentait déjà. Notre aîné, bien plus vieux, était bien plus fort que nous. Mais personne ne semblait aussi bien que le cadet. Le chouchou de la famille est généralement le petit dernier, n'est-ce pas ? Que dalle. Comment étais-je censé rivaliser avec celui que beaucoup reconnaissaient comme "un des jeunes hommes les plus puissants d'Europe". Comment étais-je censé rivaliser avec le grand Reinhard Klemens ?

Il avait beau être mon grand-frère, il n'en avait pas le comportement. La figure qu'il incarnait était plutôt celle du tyran, du malfrat. Notre famille nous élevait en nous faisant croire que nous étions une élite, mieux que tout au monde. Mais même au sein de notre famille, Reinhard était celui qui recevait tous les compliments. Cela ne me dérangeait pas de ne pas être au centre de l'attention. Au contraire, je n'aimais pas être sur le devant de la scène, donc j'aurais pu me satisfaire de cette situation. Mais là n'était pas le problème.

- Bravo Reinhard. Excellent. Tu apprends de plus en plus vite. A ce rythme, tu égaleras bientôt des adultes sans souci.

La salle était pleine pour l'entraînement de celui qui était hélas mon frère. Sa renommée était telle que des aristocrates vampires et sorciers venaient assister à ses entraînements, probablement pour se le mettre dans la poche, ou "souligner ses talents exceptionnels" comme ils disaient derrière leur hypocrisie. Un monde faux, rempli de gens cachés derrière leur fourberie, uniquement en quête de pouvoir et de notoriété. Un monde dans lequel Reinhard s'emboîtait parfaitement.

Alors que la séance venait de finir, les gens se dirigeait vers la sortie, probablement pour rejoindre un banquet ou je ne sais quel événement en l'honneur du nouveau phénomène. Je préférais rester assis sur ma chaise, attendre que tout ce beau monde parte pour profiter d'une quelconque solitude et potentiellement m'entraîner à mon tour. C'était cependant sans compter sur le caractère abusif de mon frère, qui se dirigeait vers moi, un air satisfait et malsain sur le visage.

- Tu vois Alexander, c'est comme cela qu'il faut faire. Tu ferais mieux de t'inspirer de ton grand-frère. A ton âge, je faisais déjà dix fois mieux que toi. J'imagine qu'il ne faut pas trop en attendre de la part d'un sorcier né le jour du solstice d'été. Et tu veux maîtriser la magie des ombres ? Les gens disent que tu portes une malédiction Alexander, que tu es un danger pour nous autres sorciers, que tu devrais être écarté de la famille, que tu nous fais honte. J'imagine que père et mère n'osent pas te le dire.

Mes poings étaient serrés. J'aurais aimé le confronter, mais que pouvais-je faire ? Il avait raison, j'étais faible, encore plus comparé à lui. Je ne pouvais rien faire face à celui dont la cruauté était assez grande pour battre paysans et domestiques. Je n'oublierais jamais ce jour, où mon regard était passé par la porte entrouverte de la cave. Des escaliers en pierre donnaient sur une pièce, exigüe et sombre. Seule une lanterne laissait deviner le visage de mon frère, ses mains pleines de sang, un large sourire aux lèvres et ses yeux emplis d'excitation. Son visage s'était tourné vers moi, il continuait de sourire, un air vicieux et sadique marquant ses traits.

Cet événement fut la goutte qui fit déborder le vase. Une nuit d'automne, alors que je n'étais âgé que de 15 ans, je pris l'essentiel de mes affaires dans un petit sac, et je fuyais de chez moi. Comme je m'y attendais, personne ne s'était mis à ma recherche. J'imaginais même que cela les avait soulagés. Un fardeau en moins à porter. Pour eux, comme pour moi. Je pouvais désormais débuter ma nouvelle vie. Elle ne fut pas simple car je devais tout faire par moi-même. Mes capacités de magie des ombres ne me permettaient pas de me battre, mais voler des humains n'était pas si compliqué. Bien que mon corps subit le contrecoup d'une vie aisée avec repas matin, midi et soir, à quelques légumes crus dans la journée, mon âme était en paix. Je n'avais plus la gorge et le cœur serré à chaque repas en famille.

Je n'avais personne avec qui passer mon temps. Mes quelques rencontres étaient éphémères, mais au moins elles me donnaient le sourire. Si les gens d'ici apprenaient ma véritable nature, je ne payais pas cher de ma peau. Dans le pire des cas, personne ne savait où se situaient mes camps de fortune. Et les fuir n'était pas très compliqué avec les pouvoirs que j'avais, même s'ils étaient faibles. Les rares personnes avec qui j'avais discuté me connaissaient sous le nom d'Alex, et me désignaient "discret comme une ombre". Ah... s'ils savaient. Certains me recommandèrent même de contacter le club Diogène et de travailler pour eux. Je me souviens que Reinhard détestait ce club, pas très étonnant. Pour ma part, je n'en avais pas grand chose à faire. Je partageais leurs valeurs. De là à devoir les contacter, c'était autre chose.

J'étais avant tout consacré à ma survie. Voler pour survivre et échapper aux vampires étaient mes deux objectifs principaux. Je n'étais cependant pas aussi cruel que mon frère. Je ne volais que très rarement à ceux qui avaient déjà du mal à vivre. Mes cibles étaient principalement les vendeurs à l'étalage ou les arnaqueurs qui vendaient à des prix démesurément hauts. Il m'arrivait aussi de cambrioler de belles maisons dont les résidents ne connaissaient vraisemblablement pas la sous-nutrition. Les beaux chandeliers en or et en argent coûtaient bien plus chers que je ne le pensais. Et leurs propriétaires n'en avaient clairement pas besoin, une bougie n'a pas besoin d'or pour éclairer. En revanche, j'avais besoin d'or pour me nourrir.