De la réalité au roman, la ligne est faible - Bram Stoker

Comment forge-t-on le plus grand écrivain horrifique du 17ième siècle ? Si vous le demandiez à ce cher auteur du grand roman biographique de Dracula, il vous dirait qu’il faut deux petites choses. En premier lieu, un enfant malade chronique qui s’ennuie sans pouvoir sortir. En deuxième, une mère aimante qui cultive l’esprit curieux de son fils en lui racontant diverses histoires fantastiques, passant des mythologies aux romans plus sombres, décrivant des monstres les plus effrayants les uns que les autres. Ceux qui l’avaient rencontré diraient qu’il était un étrange petit garçon qui ne semblait jamais en avoir assez, rêvant de châteaux luxueux et de trésors protégés par des créatures terrifiantes. La tête dans les nuages, il n’était pas très loquace à l’inverse de ses deux frères ainés, George et Frederick Stoker. Très secret, les autres enfants ne voulaient pas lui parler. Sans parler de sa pâleur générale dû à sa mauvaise santé... Les autres camarades aimaient bien l’appeler “ialtóg”, signifiant chauve-souris en irlandais. Peut-être que ce serait pour cela que l’adulte qu’il allait devenir serait si passionné par le vampirisme...



C’est à 16 ans, enfin remis de sa maladie, que le jeune homme pourra finalement commencer des études sérieuses au Trinity College  de Dublin dans le domaine des sciences et des mathématiques comme son père avant lui. Pourtant... Il s’ennuyait... Encore...  Comment animer sa vie si morne et sans sens? Sous un pseudonyme, pour débuter, l’étudiant commencera à écrire des critiques sur les pièces de théâtre qu’il ira voir pour les publier dans le Dublin Mail. En voyant l’engouement de ses lecteurs et de la demande du directeur du journal de donner enfin son vrai nom, Bram prendra plus de confiance en lui. Il fera sa place doucement dans le milieu des arts parallèlement à ses études, puis de son premier métier de fonctionnaire. Il avait l’impression de mener une double vie. Le jour, il était Abraham Stoker, fonctionnaire de l’état. Le soir, il devenait Bram Stoker, un journaliste indépendant avec des rêves de grandeurs. Il voulait écrire beaucoup plus que de simples articles. Pourquoi pas se lancer dans son premier roman? Il prendra quelques années à écrire son premier récit, La Coupe de cristal, qui sera publié en 1872.



Deux trois ans après, Bram Stoker fera la rencontre d’un imminant acteur, Henry Irving. Les deux hommes se comprenaient dans ce sentiment d’ennui perpétuel dans une culture si froide et bienséante qu’était l’ère victorienne. Grâce à son nouvel ami, Stoker fut choisi comme administrateur pour le Lyceum Theatre de Londres, son rôle consistant à choisir les pièces qui seraient produites par les acteurs et la publicité pour attirer le public dans le lieu de divertissement. L’auteur d’installera définitivement à Londres, s’amourachant de la vie nocturne cachée dont Irving était un grand adepte. Il fut accepté dans les hautes sphères de la société artistique de Londres, là il n’y avait plus aucunes règles cachées dans le manoir d’un autre grand acteur de l’époque. Là-bas, c’était alcool à profusion, opium en abondance, femmes libres de s’habiller comme elles le voulaient, ou pas d’ailleurs et en rien la sexualité des invités ne dérangeait personne, les couples se montrant au grand jour malgré les tabous sur l’homosexualité à l’époque.  


Quelques années de plus et voilà que l’on arrive au moment charnière de l’existence de Bram Stoker: sa rencontre avec Dracula. Oui, sa rencontre, pas son écriture puisque le vampire existe bel et bien et l’auteur n’a rien inventé. L’écrivain s’était prévu des vacances en Pennsylvanie, là, semble-t-il, l’atmosphère était pesante et lugubre. Beaucoup de ses compères lui avaient conseillés les Carpates en vantant les légendes locales les plus effrayantes les unes que les autres, parfait pour l’inspiration lorsque l’on cherchait à écrire un récit fantastique avec un monstre abominable en avant-scène. Depuis quelques temps, d’ailleurs, il était en contact avec un comte vivant là-bas. Il se disait grand amateur de ses œuvres et il voulait l’inviter à vivre dans son château le temps de l’écriture de son roman s’il le souhaitait. Une invitation plus qu’alléchante pour l’homme qui ne refusa nullement l’offre de celui qui se faisait appeler Dracula. Il était loin de se douter qu’il allait être fait prisonnier par un vampire sanguinaire et vieux de plusieurs siècles. Le romancier ne fut pas le seul invité. Un avocat du nom de Jonathan Harker arriva au château pour aider le comte qui voulait aller s’établir en Angleterre. Ce fût de longues semaines de pages blanches pour Bram qui sentait l’énergie le quitter plus le temps avançait. Harker semblait inquiet à propos de leur hôte, semblant croire que quelque chose de sombre était en œuvre, mais notre cher auteur ne voulut pas le croire, ou plutôt ne voulut pas réellement s’en mêler, trop obnubilé par sa page blanche qu’il n’arrivait pas à noircir de lignes et de paragraphes. C’est un peu plus tard qu’il découvrit que Dracula était un vampire. Harker fut clair, refusant l’offre du vampire de le rejoindre. Pour Stoker... Ce fut différent. Son choix fut vite fait. Oui. OUI! C’était enfin l'opportunité rêvé de quitter son monde morne et ordinaire, d’oublier tout ce qui le faisait sombrer dans l’ennui ! OUI! Il servirait Dracula et deviendrait l’un de ses vampires. Peu importe ce que Harker pouvait en penser, une telle offre ne se refusait pas. Surtout quand on est un homme tel que Bram fasciné par le surnaturel. Lorsque le roi des vampires fit d’une certaine Mina une dès leur, elle lui apprit qu’elle s’était promis a Harker et elle lui offrit ses lettres, si jamais cela pouvait l’inspirer pour son roman. Effectivement, cela fut une révélation. Ainsi, pendant que Dracula magouillait en Grande-Bretagne Stoker, retourné chez lui, utilisa ces lettres pour former son roman biographique sur la vie de Dracula sous le regard de son ennemi. Le but étant d’insuffler la peur des humains envers son maitre. Bien sûr, cela fonctionna parfaitement puisque son roman fut un énorme succès. Quand la reine Victoria s’enleva la vie afin de permettre la fin du règne de Dracula, Bram Stoker prit la fuite en Prusse avec lui. Après tout, voulant être son meilleur de ses serviteurs, il avait tout intérêt à le suivre, peu importe où il allait.



Pour ce qui en était de son ancienne vie humaine... Il était effectivement revenu chez lui, mais dans l’une de ses demeures inhabitées. Il avait fait envoyer une missive depuis la Roumanie a sa femme pour lui annoncer son décès. Même s’il ne se préoccupait plus vraiment du bien des humains, il en restait attaché à sa famille et il refusait de les mêler à ce monde. Ainsi, ils furent persuadés de sa mort et une fois par an, il allait les espionner à leurs fenêtres pour s’assurer qu’ils allaient bien et prendre de leur nouvelle de manière indirecte. Même derrière le monstre assoiffer de sang se cachait encore un homme de parole avec la capacité d’aimer, mais ça... il le cachait profondément.