Dans les rues de Berlin

Dans les rues de Berlinft. deux vampires et un loup

Une neige fine tombait sur Berlin. C'était un temps idéal pour sortir et profiter de la blancheur immaculée qu'offrait les rues de la ville. Les enfants couraient dans tous les sens, profitant que les voitures ne puissent plus circuler pour pratiquer toutes sortes d'activités. Un groupe de garçons faisaient une bataille de boules de neige, tandis que des jeunes filles fabriquaient un bonhomme... Jacob et Karl auraient été heureux ici... Tout en marchant, une fois de plus, je pense à mes fils. Où sont-ils ? Comment vont-ils ? Sont ils seulement en vie ? Sont ils, eux aussi, devenus des vampires sans âme, comme leur mère ? Je tourne la tête vers la femme qui me suit de prêt. Mon épouse est resplendissante, éclatante... Mais elle ne me reconnait plus. Cela fait quelques mois que je l'ai retrouvé... Quelques mois durant lesquels j'ai vécu un véritable enfer. Non seulement elle ne se souvient de rien, mais elle est persuadée d'être mariée au vampire qui l'a transformé. Elle me traite donc comme le valet que je suis, et comme tout vampire doit se comporter avec un loup, c'est à dire avec mépris. Elle me renvoya un regard froid et je détourne le mien, reprenant ma marche. Nous ne sommes pas encore arrivés, mais nous avons du temps devant nous. Je voudrais accélérer le pas, histoire d'abréger cet instant difficile, mais elle risquerait de le prendre comme une tentative de fuite. Mon épouse est devenue forte, beaucoup plus que je ne l'ai jamais été. Je garde encore le souvenir cuisant de sa lame contre ma gorge, et l'odeur cuivrée de mon sang sur le tapis du Baron...

Ce dernier m'a envoyé chercher une commande qu'il attends depuis plusieurs semaines : du thé, en provenance du Tibet, qui aurait des vertus très apaisantes. Il a ordonné à Hannah de me suivre, autant pour me surveiller que parce qu'il sait que cela me fera souffrir. L'immoralité de cette vermine n'a donc aucune limite ? Cela ne fait que quelques mois, mais j'ai l'impression de ne plus être l'homme que j'ai été auparavant. J'ai déjà beaucoup changé depuis mon arrivée dans le manoir du Baron, mais le retour d'Hannah m'a rendu quasi méconnaissable. L'autre jour, un des vampires du Baron lui a demandé si j'étais malade, tant il trouvait que je faisais peur à voir. Je me suis regardé dans le miroir par la suite et j'ai compris pourquoi il avait dit cela. J'ai considérablement maigri, même mes doigts paraissent squelettiques. Mon teint est beaucoup trop pâle pour un homme de ma constitution, et mes yeux arborent de profondes cernes. Rien d'étonnant à cela, j'ai perdu le gout de la vie depuis que ma femme m'a repoussé, et depuis qu'elle a dit ne plus se rappeler ni de Jacob, ni de Karl, ses enfants... Je dors à peine, et n'arrivent à avaler que quelques miettes, tant je me dégoute moi même. Si j'avais su les protéger, nous n'en serions pas là.

Je la sens se rapprocher et l'entends soupirer. La voilà qui s'impatiente. Je lâche un soupir à mon tour et, tout en me tournant vers elle, je lui dis : Si tu n'es pas contente, Hannah, retourne au manoir ! Je ne vais pas m'enfuir ! Je n'ai jamais pu me résoudre à la vouvoyer, car elle reste mon épouse, de toute éternité et pour toujours... C'est ce que j'aimerais croire en tout cas... Je prends même le temps de m'arrêter pour rajuster ma veste. Mon uniforme de valet a été soigneusement repassé pour la sortie, par mes soins, car le Baron tient à ce que je donne une bonne image de lui. Son écusson est cousu au niveau de mon cœur, et il me parait bien lourd à porter, tant il m'inspire de la crainte. Nous entrons dans la fameuse boutique et le vendeur, reconnaissant l'emblème de mon maitre sur ma poitrine, se hâta d'aller chercher la commande. Je baisse les yeux, essayant de ne créer aucun contact visuel avec les autres clients, qui m'observent avec curiosité et chuchotent entre eux. Je sens Hannah à mes côtés et, au lieu de me sentir rassuré par sa présence, j'en éprouve qu'un profond malaise. Le vendeur me remit la commande et, après l'avoir remercié à voix basse, je sors de la boutique. L'air frais m'aide à me sentir mieux, et je prends le chemin inverse, ignorant la vampire qui me suivait. Soudain, au détour d'une ruelle, mon pied glissa sur une plaque de verglas. Je tombe lourdement sur le côté, lâchant un grognement de douleur.  Heureusement, le paquet n'a rien. Une femme m'aida à me relever et, alors que je levais les yeux pour la remercier, je lui dis : "Mademoiselle McMahon ? Est ce bien vous ?" Je la connais grâce au Club Diogène, et la voir ici ne fait que raviver mon inquiétude... Et pour cause, Hannah s'approche...

Dans les rues de Berlinft. deux vampires et un loup
Deux vampires et un loup dans une rue de Berlin. On pourrait croire au début d'une mauvaise blague. Isadora m'aida à me relever et, une fois debout, je laisse échapper une grimace de douleur. Je suis tombé sur le côté et mon bras me fait mal. Mais c'est sans doute du à ma fatigue. La jeune vampire me demanda si tout allait bien. J'hoche la tête en expirant de l'air par la bouche. Cette chute m'avait coupé le souffle le temps de quelques secondes. L'épuisement m'avait rendu faible. Je ne sais même pas si j'aurais été capable de supporter une transformation et de contrôler mon loup par la suite. Les passants m'avaient à peine adressé un regard. Ceux qui avaient vu le blason du baron sur ma veste avaient même esquissé un sourire en me voyant tomber. C'est tellement triste d'en être arrivé la. Le temps où j'étais un homme puis un loup apprécié des siens est révolu. Aujourd'hui, je suis le valet d'un vampire sanguinaire, mon épouse est l'une de ses agents les plus dévouées, et mes garçons sont introuvables ... On pourrait pas rêver mieux comme situation n'est ce pas ?
Je lève les yeux vers la vampire qui, après avoir constaté que mon paquet était en un seul morceau, me demanda s'il en était de même pour moi. Je lui souris d'un air fatigué et lui réponds : "Ça va, mademoiselle. Je préfère savoir ce paquet en bon état. Le Baron n'apprécie pas tellement que ses affaires soient abîmées..."

Je baisse les yeux après avoir prononcé ces mots. Depuis que je suis au service du Baron, je n'ose plus regarder un vampire dans les yeux plus de quelques secondes. Hannah arriva derrière moi, me reprochant de ne pas l'avoir attendu. Son ton hautain, comme si elle m'était supérieur (ce qui était le cas) eu le don de me faire froncer les sourcils. Laissant échapper un grondement très canin, je lui réponds : "Tu vas faire quoi ? Me planter ton petit couteau dans le ventre ? Rappelle toi qui est mon maître, Hannah, et, crois moi, il ne risquerait pas d'apprécier." Je n'ai pas pu m'en empêcher. C'était plus fort que moi. Hannah était la seule vampire qui me faisait sortir de mes gonds. Ce n'était pas sa faute, c'était elle la victime dans toute cette histoire... Mais j'espère, sincèrement, parvenir à déclencher une réaction chez elle en la provoquant de multiples façons. C'est sans doute une très mauvaise idée mais, au point où j'en suis... Je suis prêt à tout pour retrouver la femme que j'aime... Hannah est celle qui fait battre mon cœur, celle qui a toujours été à mes côtés, même dans les moments difficiles... La voir ainsi, amnésique, persuadée d'avoir épousé un vampire... La voir me parler comme si je n'étais qu'un déchet... Savoir que cet ignoble créature se permet de la toucher... Tout cela me rends fou de rage.

Je me rends compte que je me suis mis en spectacle devant Isadora. Instantanément je baisse à nouveau les yeux et dit à la vampire : " Je vous prie de m'excuser pour mon emportement mademoiselle..." Suite à cela je lance un regard en coin à mon épouse qui se présente à sa congénère. Je vois ma femme grimacer de douleur. Elle se plains souvent de migraines ces temps ci. Même si je suis fou de rage, je sors de ma veste un petit sachet en tissu, contenant des herbes médicinales. Edda avait un véritable talent pour reconnaître et utiliser ces plantes. Dans la forêt, c'était primordial, car nous étions souvent blessés ou malades. Si notre condition de loup nous permettait une guérison rapide, les herbes, elles, permettaient d'avoir des plaies propres et sans infection. Je tends le sachet à Hannah en lui disant : "Mets ça sous ton nez. Ça calmera la douleur." Je reviens vers Isadora et lui demande : "Vous êtes en promenade mademoiselle ?"

Dans les rues de Berlinft. deux vampires et un loup
Je me sens mal à l'aise, en compagnie de ces deux vampires. L'une pourtant est une amie de Van Helsing, et se bats à ses côtés contre la tyrannie de Dracula. L'autre est mon épouse. Je devrais pourtant me sentir bien, mais je sens que la tension est... Palpable.

J'observe du coin de l'œil les deux vampires parler entre elles, et laisse échapper un demi sourire lorsqu'Isadora se permit un habile petit commentaire sur le Baron. Elle n'avait pas tort. Il était la définition même de la froideur. Son regard me faisait penser à un puit sans fond. Sa bouche, constamment boudeuse, ne s'ouvrait que pour prononcer des sentences de mort. Ses mains pouvaient tordre le cou d'un louveteau sans le moindre effort. Le jour où il m'a tiré des griffes de la Mort, j'ai prié pour, qu'au contraire, il m'achève vite, tant il me faisait froid dans le dos. Aujourd'hui encore, après tout ce temps passé à son service, il continue de me donner des sueurs froides. Tant de vies ont été gâchées, perdues, simplement parce qu'il en a décidé. Je me rappelle encore de cette pauvre femme, cette pauvre sorcière quasiment exsangue à cause de lui. Je frissonne rien qu'en pensant à ce moment où je l'ai emmené dans ma propre chambre, en sécurité, pour qu'elle puisse s'y reposer convenablement et récupérer de sa perte de sang.

Et ma femme dans tout cela ? Elle est l'une des leurs. Froide, arrogante, violente, elle n'est plus rien de la Hannah que j'ai épousé. Lorsque je lui rétorque qu'elle ne ferait mieux pas de me faire du mal, au risque de froisser le Baron lui même, elle m'ordonna de me taire. Cela me fit gronder, mais j'obéis. Je ne peux faire que ça de toute manière. Obéir, me taire, faire profil bas. Le Baron tient peut être mes enfants, je ne dois faire aucune erreur, sinon ils seront perdus, eux aussi. Je dois trouver le moyen de tous les sauver. Mes enfants, ma femme, et nous partirons loin de l'Allemagne. Les Etats Unis ? Pourquoi pas ! Beaucoup vont refaire leur vie là bas, et je dois l'avouer, ces grandes étendues encore sauvages plairaient bien au loup qui vit en moi. Reste à savoir si je vais réussir, et si Hannah va me suivre. Je la vois souffrir, affligée d'une douloureuse migraine. Je lui donne un petit sachet d'herbes, dont je tiens la recette des louves de la Meute. Elle l'attrapa avec méfiance et, pendant qu'elle se soulageait, je questionne Isadora. Elle fit mine de ne pas me connaitre, et, lorsqu'elle me demanda mon nom, je lui réponds : Lehmann, madame. Aurelius Lehmann. Enchanté. Elle me dit ensuite que c'était plaisant de voir de la neige à Berlin. Je souris et lui dis : Oui, cela faisait bien longtemps. Cela fait chaud au c... cœur de voir ces gamins s'amuser.

Je vois Hannah reprendre des couleurs. Mon sachet d'herbe est efficace, et cela me rassure. Malgré les insultes, les mauvais traitements, je ne peux m'empêcher de prendre soin d'elle, de veiller à ce qu'elle ne manque de rien. Elle n'a pas l'air de se rendre compte à quel point je l'aime encore... Je lui demande : Tu vas mieux ?

Dans les rues de Berlinft. deux vampires et un loup
Les vampires et les loups ont toujours été d'éternels ennemis...

Nos deux races ont toujours été en conflit. Les loups voient les vampires comme des parasites suceurs de sang, et les vampires nous voient comme des animaux sans âme, des boules de poils puantes tout juste bonnes à japper. C'est avec une certaine hésitation que je vois Isadora prendre ma main pour la serrer et me dire qu'elle est enchantée de faire ma connaissance. Je fronce les sourcils. Nous avons beau être du même camps, le naturel revient toujours au galop... Le loup en moi est nerveux. La présence d'Hannah n'arrange pas les choses. Un vampire dans les parages est déjà difficile à supporter pour lui... Alors deux... Je le sens s'agiter, grogner, et je ne peux m'empêcher de retrousser légèrement le côté gauche de ma lèvre supérieure, dans un geste autant menaçant que défensif. Je parviens à me reprendre. J'espère qu'Isadora n'y verra pas ce geste comme une tentative de démonstration de force de la part du loup qui vit en moi. Hannah me rendis le sachet d'herbes en me remerciant, et je le range dans ma veste sans un mot, me promettant de lui en faire un pour elle. Cela lui sera toujours utile...

Les deux vampires discutent donc entre elles, et Hannah déclare être venue pour m'accompagner. Je lève les yeux au ciel. Un mensonge très mal dissimulé. Cela se voit à des kilomètres qu'elle est là pour me surveiller. Je tourne la tête vers Isadora mais regarde Hannah du coin de l'œil en soufflant ces quelques mots : Il ne manque plus que la laisse. Une remarque pleine d'ironie, mais qui reflète bien l'état de soumission dans lequel je me trouve. Isadora ne connait pas mon histoire, donc elle doit penser que je ne suis qu'un traitre, un loup ayant quitté ses congénères pour rejoindre les rangs ennemis... Par lâcheté, par cupidité ou que sais je ? Je m'en fiche bien de ce qu'elle pense. Ma famille et leur survie compte plus que tout à mes yeux. Hannah compte plus que tout à mes yeux, même si sa nouvelle nature me rends fou de colère et de désespoir. Hannah propose à Isadora de marcher avec nous, et je les suis docilement, restant à côté d'Hannah. Je manque de glisser une nouvelle fois mais me rattrape et je reprends ma marche, perdu dans mes pensées. Je croise à un moment le regard d'un autre loup garou. Nous nous reconnaissons à l'odeur. Il me regarde, voit les vampires puis le blason sur ma veste. Il fronça les sourcils et retroussa les lèvres, me montrant les dents. Je baisse les yeux, ne voulant pas provoquer d'affrontement. Je sens son regard dans mon dos pendant un long moment...