Sur les traces de Gullinbursti - Isadora & Abraham

Bram, je l'ai! Je l'ai trouvé! Je l'ai!

La porte de mon bureau s'était ouverte à la volée pour laisser place à mon ami Peter, le colosse danois parcourant en deux pas la distance séparant l'entrée du meuble derrière lequel j'étais assis en train de corriger des copies, plume à la main, et il déposé devant moi plusieurs photographies d'un geste brusque du plat de la main qui fit sursauter tous les objets présents devant moi, manquant de renverser ma tasse de thé fumant devant moi. Je levai seulement les yeux, dominé par le géant aux yeux d'un bleu de glace, qui avait troqué ses éternelles fourrures pour un manteau civil plus adapté à la température clémente du mois d'avril.

Regarde, ça y est, je l'ai trouvé, ça y est! Des années que je la cherche! Ca va être une découverte sensationnelle!
Bonjour Peter.
Oh, oui, bonjour Bram. Désolé. Comment vas-tu?

Obtenant enfin son attention je me levai, sourire aux lèvres pour lui donner une accolade rapide, avant de baisser les yeux sur les fameux tirages qu'il avait déposé devant moi. Il sortit aussi de ses poches une petite figurine en bronze sûrement, qui ressemblait à un cochon ou un sanglier.

C'est Gullinbursti, un objet de légende fabriqué par des nains forgerons, et offert au dieu Freyr. Il est associé à la pluie et aux rayons du soleil en tant que dieu de la fertilité dans la mythologie nordique. Ce sanglier entièrement en or et il tirait le char du dieu car il avait la propriété de courir sur terre comme sur mer plus vite qu'un cheval. On raconte aussi qu'il pouvait être une arme redoutable avec ses défenses acérées... et il est enterré avec Feyr, d'après les textes. Il y a trois semaines j'étais en exploration au Gröenland et j'ai par hasard vu cette statuette dans une petite boutique. Le type me l'a vendue une misère mais j'ai senti qu'il y avait quelque chose sans savoir quoi... je l'ai examinée sous toutes les coutures mais rien... jusqu'au moment où par hasard en la manipulant je l'ai fait tomber dans la bassine d'eau où on nettoie les poteries... Et là, tu ne vas jamais me croire mais la statuette, qui est en métal, s'est mise à flotter. Je te jure. Elle flotte. Et en plus elle flottait dans une direction particulière, tapant doucement contre le rebord de la bassine. J'avais un peu bu alors j'ai juste pris la bassine et j'ai marché dans la direction pointée par la statuette. J'ai fait des tests en changeant de direction mais elle revenait sûrement, strictement et obstinément dans une seule direction. Et au bout de cinq kilomètres, en plein dans la forêt, la statue s'est arrêtée. Je sais, je sais, moi aussi je pensais que j'avais trop bu... pourtant quelque chose m'a poussé à continuer. Et mon instinct ne me trompe jamais. Alors je suis revenu avec une torche et une pelle et bientôt j'ai trouvé l'entrée d'une grotte. Au bout de quelques mètres il y avait des bas-reliefs représentant Feyr et le sanglier, là, ce sont ceux-là sur les photos. Mais on a vite rencontré un problème... On est arrivés face à une porte, celle du tombeau... mais il y avait un petit souci. Un ridicule souci... de gigantesques piliers de cristal, naturels, et d'autres en verre soutiennent le plafond mais bloquent l'entrée de la porte. Si on fait tout sauter la grotte s'effondre, il faudrait trouver un moyen de briser les protections en verre construites par l'homme sans toucher celles en cristal, les naturelles... mais je n'ai aucune idée de comment... Et on ne peut pas couper ou frapper sans fragiliser l'ensemble. C'est pour ça que je suis venu te voir...
C'est merveilleux Peter, et si tu dis vrai c'est une découverte extraordinaire! Mais il faut qu'on réfléchisse...


Quelques heures plus tard.
Penché sur les livres de la bibliothèque de l'université je tente désespérément de trouver une solution à notre problème, quand par chance je croise mon collège Heinrich, professeur de physique. Trottant à sa rencontre en tentant de faire le moins de bruit possible, j'arrive à attirer son attention et lui expose mon problème entre deux étagères, camouflant bien sûr la réalité et mentant à propos d'un devoir de mon neveu ou quelque chose d'approchant. Il réfléchit avant de hocher la tête.

Je ne vois qu'une chose, le verre et le cristal ne vibrent pas à la même fréquence.

C'était déjà un élément de réponse et je le remercie chaudement avant de me remettre à mes réflexions. Sur le chemin du retour et même une fois chez moi je cherche encore et toujours la clé du problème, jusqu'au moment où en buvant mon vin accompagnant mon repas, je fais rêveusement courir mon doigt sur le bord du verre et souris en entendant le léger son mélodieux qui en émane. De la musique. Mais oui, c'est ça! La musique! Plus précisément le chant! Bondissant sur mes pieds je cours jusqu'à mon bureau et attrape ma veste avant de demander à Séverin de sortir la voiture. Si cette chère Elisabeth chante ce soir, elle doit être à l'opéra et j'ai encore le temps de la croiser. Une fois sur place, en tant qu'un des parrains du lieu on me laisse passer en coulisses et on me permet d'attendre la diva dans sa loge. J'entends la fin de son récital merveilleux depuis un fauteuil installé dans un coin et me lève quand elle apparaît, encore en costume de scène. Par chance elle accepte, mais tout n'est pas joué. Nous ne pouvons pas partir juste tous les deux.

Je pense à Isadora, avec qui toutes les missions se sont toujours bien passées et avec qui j'ai plaisir à partir à l'aventure. Le lendemain, avant de rejoindre mon cabinet, je demande à Severin de faire un crochet par sa boulangerie et m'approche du comptoir, un grand sourire aux lèvres.

Très chère Isadora, j'aurais une mission pour toi! As-tu quelques instants pour en parler?

J'aime beaucoup me rendre dans la pâtisserie d'Isadora. A peine descendu de voiture je sens l'odeur du pain chaud et des Brôtchen me chatouiller les narines, ce qui est encore accentué à partir du moment où je passe la porte. Et là, la caverne d'Ali Baba : des étagères pleines de miches de différents types de farines, des comptoirs pleins de douceurs sucrées et colorées... Un délice pour les yeux, le nez et le palais.

Je souris lorsque je la vois arriver et qu'elle me reconnaît, lui glissant simplement que j'aimerais avoir quelques mots avec elle en privé. Je hoche la tête à son invitation d'aller en discuter. Elle donne quelques ordres à la personne avec laquelle elle travaille et me fait signe de la suivre dans l'arrière boutique. On se retrouve dans son bureau, et je m'assieds en face d'elle, impatient de lui exposer notre plan.

Oh j'ai une merveilleuse proposition à te faire. Dangereuse, certes, mais merveilleuse! Un ami a découvert la trace d'un objet mythique de la culture celte : "Gullinbursti". Il est caché dans une sorte de tombe protégée par des cristaux... de gigantesques piliers de cristal, naturels, et d'autres en verre soutiennent le plafond mais bloquent l'entrée de la porte. Si on fait tout sauter la grotte s'effondre, il faudrait trouver un moyen de briser les protections en verre construites par l'homme sans toucher celles en cristal, les naturelles...  J'ai déjà trouvé qui pourrait nous tirer d'affaire : une cantatrice qui pourra, grâce à sa voix, faire exploser l'un mais pas l'autre... mais on ne peut pas être que deux. J'aurai besoin d'une aventurière chevronnée comme toi pour nous accompagner. Qu'en dis-tu?"

Deux jours plus tard

Nous avons rendez-vous sur une petite piste privée de Johannisthal pour qu'un pilote travaillant pour le Club nous emmène rapidement en avion au plus près de la grotte. Mon ami Peter Freuchen, qui a trouvé la statuette, est parti tout de suite après notre entretien et nous attend sur place, s'occupant de réunir une équipe pour notre mission. Severin attend derrière le volant, alors que je fume la pipe debout dehors près du tarmac. Bientôt deux pinceaux lumineux balaient la nuit jeune et je souris en reconnaissant Isadora.

Bonsoir Isadora, comment vas-tu?

Je l'aide à prendre son sac et à le porter à l'intérieur du petit avion, avant de donner quelques indications à Severin qui s'éloigne dans un ronronnement discret.

Alors, tu es prête?

On s'installe dans les sièges inconfortables et le pilote, que j'ai déjà croisé, et m'agrippe le temps qu'on décolle et que l'avion se retrouve enfin dans les airs.  

Il y avait quelque chose d’extrêmement réconfortant dans la boutique d’Isadora : les comptoirs remplis de gâteaux et de pâtisseries tous plus beaux les uns que les autres, la délicieuse odeur de chocolat et de noisette qui flottait toujours dans l’air créait une atmosphère chaleureuse et rassurante. Il ne pouvait jamais rien se passer de mauvais alors qu’on est entouré de choses aussi délicieuses non ? Tout ça renvoyait à l’enfance et aux moments heureux : les goûters d’après l’école, des desserts du dimanche après la messe, des gâteaux pour les fêtes… Et cela me faisait aussi sourire qu’une vampire qui n’avait plus besoin de se nourrir continue à consacrer son temps à produire de la nourriture et satisfaire les estomacs des autres.

C’est donc avec plaisir que je passai dans les coulisses de ce paradis et la rejoignis pour quelques minutes seulement dans son bureau. Une fois seuls je m’empressai de tout lui raconter, et l’affaire aussi fabuleuse que mystérieuse qui nous attendait, si elle acceptait de se joindre à l’équipe, bien évidemment. Je lui parlai également du talent particulier de Elizabeth et de son rôle qu’elle allait jouer à nos côtés, tel en enfant qu’on allait emmener en excursion… Excursion qui allait s’annoncer bien plus complexe et dangereuse qu’une promenade au parc ou la visite d’un musée mais peu importait… Et je souris quand sa première réaction ne fut pas de refuser ou même de s’inquiéter, mais juste de rencontrer Elizabeth.

Oh parfait, j’en suis ravi. Tu es une partenaire rêvée pour une mission Isadora et c’est toujours un plaisir que de partir avec toi !

Je réalise ensuite que j’ai été un peu grossier, et que j’ai fait fi de la bienséance pour me plonger immédiatement dans mon récit, sans m’inquiéter d’elle. Je me rattrape rapidement et nous discutons un peu avant que je prenne congé. Il faut deux jours au Club pour organiser notre expédition et à l’heure convenue je la retrouve sur la piste de l’aéroport, et la salue alors qu’elle sort d’une voiture pour me rejoindre, un sac à la main.

Je suis impatient! Cette aventure s’annonce extraordinaire, ne trouves-tu pas?

L’avion décolle peu après notre installation, étant donné que nous sommes les seuls passagers, installés à l’arrière sur une rangée de sièges alors que dans le reste du petit espace s’entassent sacs, boites et caisses car il faut bien rentabiliser le voyage, nous ajoutant à un petit avion faisant de toute façon le trajet de façon plus ou moins régulière.

Je me détends quand nous sommes en l’air et stabilisés et soupire doucement avant de répondre à sa question.

Elle s’y trouve déjà… C’est une cantatrice célèbre et elle est en tournée non loin… Elle jouera ce soir au Danemark et nous rejoindra en courant de journée demain.

Le reste du trajet se passe sans encombres et nous arrivons quelques heures plus tard, au beau milieu de la nuit. L’avion se pose sur une piste pas vraiment goudronnée et après avoir été secoués pendant de longues secondes on finit par s’arrêter près d’un petit village en bordure de forêt, pas très loin de la mer dont on entend le bruit au loin. Notre pilote nous indique ce qui doit être un centre ville, à savoir une petite grappe de maisons dont l’une est encore éclairée, sûrement l’auberge, où des chambres sont réservées. Je prends mon sac, attends Isadora et nous cheminons jusqu’au bâtiment où quelqu’un nous attend, à moitié endormi. Les chambres sont petites mais confortables et propres, et après avoir demandé à ce qu’on ne nous réveille pas avant midi, et souhaité une bonne nuit à Isadora, je m’écroule dans mon lit.

Je la retrouve en bas dans la salle à manger, qui est à moitié remplie en ce milieu de journée, pleine de locaux venus déjeuner là au milieu de travaux des champs ou d’un travail à l’atelier. Les gens discutent et rient joyeusement, même si un silence se fait lorsque j’arrive, le seul étranger au milieu d’eux tous je pense. Quand ma partenaire arrive je souris. Je me demande si elle n’a pas trouvé le temps long en se levant à l’aube ou si elle a pu dormir plus longtemps les volets tirés.

Alors as tu réussi à dormir? N’as tu pas été réveillée trop tôt?

Je trouve les progrès de l'aviation et du transport tout bonnement incroyables. Il y a  encore cent ans, ou cent cinquante ans, la diligence ou le dos d'un cheval étaient les moyens de transport les plus rapides, hormis le bateau. Puis l'homme a conquis la vapeur et a inventé les rails, permettant en une poignée de jours d'atteindre des distances qui auraient pris des semaines, et enfin nous avons gagné le ciel, concurrençant les oiseaux, réduisant cette fois les jours en heures. Cette nuit nous partions de Berlin, et avant l'aube nous étions au Groënland... Quelle perspective extraordinairement merveilleuse et fantastique! Surtout que cette quête me semble si extraordinaire que je n'ai qu'une hâte : dormir et nous reposer avant de nous lancer dans cette aventure : une caverne remplie de cristaux, et un trésor celte caché depuis des siècles. Et le trajet est d'autant plus rapide que je suis en agréable compagnie, et que la conversation l'est tout autant.

Oui je l'ai rencontrée lors d'une autre mission pour le Club, nous nous sommes vus quelques fois pour ça, et quand elle passe à Berlin je vais la voir à l'opéra... Son chant est fabuleux, si on aime la musique classique, bien sûr. Est-ce que l'opéra te plait?

Nous arrivons dans ce qui semble n'être qu'un champ un peu déblayé au beau milieu de la nuit et par chance l'auberge où nous avons réservé des chambres est encore ouverte. Ce n'est qu'en milieu de matinée que l'on se retrouve dans la salle à manger un peu animée. Grâce à un artefact prêté par le Club, Isadora peut évoluer en plein jour parmi nous, sans danger et sans contrainte, ce qui est d'une aide non négligeable... et on s'installe donc comme si de rien n'était. Pourtant alors qu'elle s'approche et a l'air préoccupée, ou nerveuse. Son regard passe rapidement sur les gens présents, sans être à l'aise.

Est-ce qu'il y a un souci? Tu veux que l'on parte? Au pire je peux demander à emmener le petit déjeuner et je mangerai sur la route, non?

Je m'active pour finir rapidement mon "suasaat", une sorte de pot au feu à base de riz, de champignons et de viande de phoque bouillie, inattendu mais délicieux avant de sortir de la pièce qui s'est un peu clairsemée entre temps. Nous tombons nez à nez avec Peter Freuchen, la montagne dont la découverte est à l'origine de toute cette expédition. Le géant nous accueille avec un grand sourire, me prend dans ses bras et fait un baisemain élégant à Isadora.

Bienvenue au Groënland mes amis! Je vais vous emmener chercher votre matériel et nous pourrons nous rendre à la grotte. Miss Hongen devrait nous rejoindre un peu plus tard dans la journée, son bateau n'accostant que courant d'après midi. Vous êtes prêts? Allons-y!

D'un pas rapide, enroulé dans son immense manteau de fourrure, il nous précède dans le petit village, jusqu'à une petite échoppe qui vend manteaux, chaussures de marche, filets de pêche ou clapiers à lapins. On prend des chaussures à crampons, des cordes et des baudriers ainsi que deux sacs à dos. Peter, quant à lui, est déjà équipé. Une fois notre matériel payé, on s'installe à l'arrière d'une carriole à cheval que Peter a louée pour nous, et c'est installés dans le foin que nous faisons les quelques kilomètres nous séparant de la grotte. Le temps est magnifique bien que froid, et les paysages sont à couper le souffle. Une fois arrivés on remercie le paysan, lui glissant quelques pièces, avant de suivre Peter à l'entrée de la grotte, et découvrir ces fameux cristaux.



Une voix s'élève bientôt à l'extérieur et nous tombons sur Elizabeth, en civil et tenue campagnarde, qui était visiblement en train de nous chercher.

Mes amis vous voilà! Je descends tout juste du bateau et me voilà! Monsieur Freuchen, j'ai beaucoup entendu parler de vous. Miss Isadora, c'est un plaisir!

Et elle lui tend la main avec chaleur.

Parfois, avec certaines des personnes que je fréquente régulièrement, j'oublie qu'il ou elle sont des créatures fantastiques, qui ne fonctionnent pas comme moi et n'ont pas les mêmes besoins. J'oublie que le baiser du soleil peut leur être fatal, que la caresse de la lune peut réveiller la bête en eux, que la moindre goutte de sang peut les rendre fous, et que l'argent peut les blesser. C'est drôle la façon dont ils me sont tellement semblables que je ne m'attarde pas sur les différences tant il y a de similitudes. Et là, attablé dans la salle à manger de l'auberge, je réalise que quelque chose ne va pas, et la perturbe. Je fronce les sourcils, levant le nez de mon ragoût de phoque pour lui demander si tout va bien, et malgré son trouble elle me répond que je n'ai pas à me presser et qu'elle va supporter toute cette agitation pour que je mange tranquille. Elle fait preuve d'un grand courage que j'oublie parfois, et qu'il est bon de me rappeler, même par des choses aussi simples que celles-ci. Je hoche la tête et reprends mon repas, accélérant pourtant afin de limiter le temps passé ici, au milieu d'autant de monde pour elle. Heureusement j'avais déjà bien entamé le repas et quelques minutes plus tard je m'essuie les lèvres avant de reposer la serviette en tissu et me lever, l'accompagnant dehors.

Es-tu sûre que ça va? Ca n'était pas trop difficile là dedans?

Je n'aime pas l'idée qu'elle puisse souffrir à cause de moi ou d'un mauvais choix de ma part, et ce n'est pas à elle de supporter autant à cause de mes besoins triviaux d'humain.

Est-ce que ça va mieux maintenant? Ici?

Il semblerait que oui, et nous sommes rejoints par Peter Freuchen, avec sa franchise habituelle, et son sourire lumineux. Nous nous mettons en route pour nous équiper, puis nous traversons la campagne proche du village, les grandes prairies d'un vert intense, émaillées de rochers sombres recouverts de mousse, et au loin les montagnes aux sommets blanchis et les glaciers. Un paysage merveilleux et si dépaysant par rapport à Berlin et son agitation. Ici tout est calme, à part le bruit du vent et des oiseaux. Puis la dernière membre de l'équipe se joint à nous, élégante même en tenue de marche, et un grand sourire aux lèvres. Peter la salue en premier, puis Isadora et je termine, serrant sa main avec les deux miennes, enthousiaste à la fois de la revoir en tant que personne que j'apprécie, mais aussi impatient de voir sa voix prodigieuse à l'oeuvre.

Il semblerait que nous soyons tous là alors, allons-y !

J'aide Peter à dételer le cheval et l'attacher pour lui permettre de brouter, avant de sortir tout l'équipement dont nous aurons besoin. Une fois cela fait, nous nous rapprochons de l'entrée de la grotte que j'aurais eu bien du mal à trouver si on ne m'en avait pas montré l'entrée. Peter allume la lanterne qu'il tient en main et au début on ne voit rien à part des rochers sombres et un peu luisants formant un boyau étroit. Il prend les devants et je laisse les deux femmes le suivre avant de fermer la marche. Petit à petit je discerne une petite lumière au loin, qui devient de plus en plus forte, avec un halo vert. Puis le boyau s'élargit et après un coude on se retrouve dans une salle vaste où d'immenses cristaux montent du sol au plafond, légèrement phosphorescents dans la nuit. Le spectacle est à couper le souffle. Ils sont immenses, grands comme des cathédrales, me faisant me sentir minuscule à côté.

C'est beau hein? Ca m'a fait ça aussi la première fois que je suis venu ici! L'entrée du tombeau est ici, venez!

Il nous emmène vers un coin de la grotte où effectivement, la main de l'homme a construit une lourde porte de bronze, imbriquée dans des cristaux et des piliers en verre. L'ouvrir en brisant les uns sans toucher aux autres est impossible... à part quand on a une cantatrice de renom avec nous.

Elisabeth... je te laisse faire ta magie!

Elle sourit, sortant une flasque de sa poche et en boit une gorgée avant de commencer à s'échauffer la voix, faisant quelques exercices. Cela dure quelques minutes avant qu'elle se tourne vers nous et sourie.

Allons-y!

Puis elle inspire profondément, ouvre la bouche et commence à émettre des sons aigus, avant de se fixer sur une seule et unique note qu'elle tient, les yeux fermés. C'est alors que toute la grotte se met à vibrer, de plus en plus fort.

A chaque fois que je quittais la demeure pour partir sur une mission, j'étais à la fois pris d'une grande inquiétude et d'une impatience proche de celle d'un enfant. Inquiétude parce que même si je connaissais et j'avais accepté les risques, je n'étais jamais sûr de rentrer, ou si je rentrais, je risquais de ne pas rentrer, et impatience parce qu'au fil de mes aventures, j'avais vu et fait des choses qui dépassaient l'entendement, dont l'humain normal, vaquant à sa vie ordinaire n'oserait jamais imaginer. J'avais parcouru des dunes à dos de chameau, survolé des océans en dirigeable ou en avion, grimpé des sommets lointains, exploré des grottes obscures ou chassé des créatures qui ne vivent habituellement que dans les cauchemars. Chaque valise bouclée, chaque ticket de train était une promesse d'ailleurs que j'attendais avec hâte, ma soif de renouveau semblant définitivement inextinguible.

Et là me voilà dans une grotte du Gröenland, remplie de cristaux protégeant un artefact sacré, en compagnie de trois amis dont l'un est explorateur, l'autre vampire pâtissière et la troisième cantatrice de renom. C'est merveilleux. Et même si j'ai hâte d'y être, de prouver nos hypothèses je m'inquiète tout de même pour Isadora, pour qui passer autant de temps coincé avec autant d'humains a du être compliqué mais qui semble aller mieux. Nous nous enfonçons dans les profondeurs de la grotte, dont l'entrée était presque invisible à l'oeil nu, ce qui l'a sans doute protégée toutes ces années, voire ces siècles de pillages et de visites intempestives. Mais la vue des cristaux me coupe le souffle, d'immenses piliers translucides transperçant la salle de part en part, dans des direction variées, comme un maillage serré et solide. Tout l'endroit baigne dans une lumière verdâtre, couleur de jade, sans que je puisse trouver l'origine de la lumière : Un puits un peu plus haut? Des sortes de lampes? Aucune idée mais c'est prodigieux. Et alors qu'on s'approche j'échange quelques mots avec Isadora à propos des glaciers.

Je pense que si la mission se passe bien on peut pousser quelques heures et aller s'y promener... Les paysages là-haut doivent être incroyables. Mais si tu veux t'y rendre seule je comprendrai! On a parfois besoin de moments de solitude!

Puis on la voit bientôt, une porte de bronze scellée dans la pierre et coincée par les fameux piliers... L'idée du piège est redoutablement ingénieuse car il est très difficile de trouver une façon d'ôter les uns sans briser les autres pour accéder au coffre... L'explorateur, Isa et moi nous plaçons derrière Elisabeth, la laissant s'approcher de la porte et se préparer. Je l'observe faire, ravi, et quand la note demandée résonne dans toute la caverne, faisant vibrer jusqu'à la moindre fibre de mon être j'éprouve une sensation absolument sidérante. Et je ne suis pas le seul : les parois et les piliers frémissent, puis vibrent avant de petit à petit avant de s'effriter. Des crevasses se mettent à courir sur toute la hauteur des piliers de cristal, comme des éclairs ou des toiles d'araignée. Puis un morceau, un autre et encore un autre tombe, devenant bientôt une pluie de gravats qui s'abat sur le sol avant de s'effondrer. Le grand danger est de ne pas se faire écraser, mais leur chute est lente et on peut se positionner afin d'être à l'abri. Leur chute a rempli la caverne d'un nuage de poussière qui m'oblige à remonter mon écharpe sur mon nez. Une fois que la poussière est un peu retombée, je contemple le champ de bataille qu'est devenu la caverne, avant d'applaudir notre cantatrice.

Bravo Elisabeth, tu as été magnifique!

Les deux autres la félicitent aussi et elle les remercie, en toute humilité et flattée également. Peter s'approche de la porte tout en répondant à Isadora pendant que je tousse.

Merci miss Isadora, mais cela pourrait être dangereux. Il y a peut-être d'autres pièges ou ruses, et c'est moins votre domaine d'expertise si je puis me permettre. Je vais voir ça.

Il fait courir ses doigts sur la porte metallique ouvragée et embossée, projetant la lumière d'une lampe dessus et jetant des coups d'oeil à son carnet de notes qu'il a exhumé des tréfonds de son immense manteau de fourrure. Après quelques minutes il grogne, murmure quelques mots tout seul puis appuie sur quelques signes. Rien.

Nous échangeons des regards déçus, silencieux pendant une seconde avant qu'un "clic" ne résonne dans le calme ambiant. Puis un autre. Un sourire naît sur mes lèvres alors que Peter frappe dans ses mains de joie. Une série de cliquetis résonnent, puis comme une sorte de toux et la porte s'ouvre, lentement, dans un nouveau nuage de poussière. Mais ce qu'il y a derrière est invisible tant la pièce suivante est obscure.

Isadora, tu as de meilleurs yeux que nous, tu vois quelque chose?

Alors qu'elle ouvre la marche on la suit. La lueur des lampes nous montre une autre pièce, plus petite que l'immense caverne aux cristaux, aux parois sculptées avec une sorte d'île au milieu d'un lac. Ce qu'il y a sur l'île est trop loin pour le voir, mais une chose est sûre, il faut traverser l'eau et il n'y a pas de pont. Et en m'approchant je remarque que l'eau a une couleur étrange à la lueur de ma torche, avant de sursauter.

C'est un lac de mercure liquide! Comment est-ce possible? Et comment le traverser? En attendant couvrez-vous le nez, il y a peut-être des vapeurs toxiques.

Je lève ma lampe, tentant de percer l'obscurité.