Fallen - Aurélius & Abraham

Que ressent un homme qui est sur le point de mourir ?

Il y a longtemps que j'ai répondu à cette question.  La seule émotion que j'ai pu ressentir alors que la Mort me tendait ses longs bras squelettiques, c'était le soulagement. C'était la délivrance, la fin de la souffrance, j'allais être libéré de cette douleur qui me rendait de plus en plus fou... Le jour où je suis tombé de cette falaise a failli être mon dernier. Les loups m'ont sauvé. Mais maintenant que cette question qui m'a longtemps hanté a trouvé sa réponse, une foule de nouvelles interrogations m'a assaillie. Et elles ne cessent de me poursuivre dans mes rêves...  Mais voilà que je perds le fil de mes pensées. Je parlais de soulagement, de délivrance. Aujourd'hui, je vais rencontrer une personnalité importante du Club, et je ferais alors face à son jugement. Mes fautes ont été dévoilées, ma trahison est à présent connue de tous. Je suis un paria, un loup qui a choisi de servir le camp des vampires plutôt que de mourir aux côtés des siens... Enfin c'est ce qui se dit. La vérité est bien entendue tout autre.

Je ne vais pas m'épancher à nouveau sur ce sujet. Je n'ai aucune excuse pour ce que j'ai fais, si ce n'est que je le faisais pour ma famille. Depuis ma rencontre avec Abraham, j'ai appris que mon épouse était devenue une vampire, et qu'elle n'avait aucun souvenir de moi. Qui plus est, elle est responsable de la mort de bon nombre de mes frères et sœurs loups. La Mort Rouge... Voilà son surnom au sein de la race vampirique. Mon cœur lui est encore entièrement dévoué, si bien que je ne pouvais me résoudre à m'enfuir, car je ne peux vivre loin d'elle, même en sachant qu'elle est une vampire et qu'elle me traite comme un misérable parasite. Je n'ai en revanche aucune nouvelle de mes fils, et ce depuis un an. Je sers Ludwig sans relâche, sans défaillir en priant chaque jour Dieu et la Pleine Lune pour que mes enfants me soient rendus. Pour ce qui est de mon épouse... Même si je l'aime encore plus que ma propre vie, je reste partagé. Une part de moi souhaite passer outre sa nouvelle nature et continuer à l'aimer. L'autre voudrait la libérer de cette condition... Comment me direz vous ?

En la tuant.

Je sais que je n'en serais pas capable. Mais un autre pourra le faire. Le Corbeau. Cet homme mystérieux responsable de la mort de tant de vampires... Je sais qu'il me cherchera et, s'il me trouve, je n'y survivrais pas. Mais si cela arrive, si jamais sa lame venait percer ma chair, je lui demanderais de libérer mon épouse et de sauver mes enfants. Il le fera, il respectera la volonté d'un loup enchainé.
Mais voilà que je m'éloigne encore du sujet principal. J'ai reçu un message, et je pense savoir pourquoi je suis convoqué. Ce n'est assurément pas pour me confier une mission, non. On ne m'en a pas donné depuis ma dernière rencontre avec Abraham. Le Club a du statuer sur mon sort, et mon avenir auprès d'eux. Il est temps d'affronter mon jugement. Vêtu de ma livrée de travail, avec le blason du Baron qui orne ma poitrine, juste au dessus de mon cœur, j'attends. Une berline ne tarda pas à s'arrêter devant moi, et on me demanda de monter pour discuter. Sans un mot, j'obéis. Je prends place sur un fauteuil de cuir et pose le regard sur l'homme qui me fait face. Je bégaye simplement ces quelques mots : Alors vous... Vous savez tout.

Méfiance ! Ne baisse pas ta garde !

Voilà ce qu'hurlait le loup en moi. Instinctivement, j'incline la tête vers le bas, retroussant ma lèvre supérieure dans un grognement muet. Cet homme paraît aimable, il paraît conciliant, mais tout en lui me rappelle la lame de la guillotine, le claquement du chien d'un fusil, le son d'une corde qui se tend brusquement. Cet homme pourrait sans aucun mal ordonner mon exécution, c'est ce que mon loup me souffle sans relâche, me conseillant de rester prudent. Mal à l'aise, je gigotte sur mon siège, les mains sur mes genoux, le regard fuyant. Je n'aime pas savoir cette voiture en mouvement, car je n'ai aucun échappatoire. J'aurais préféré une entrevue dans un espace bien plus ouvert et bien plus immobile.. J'en viens à me dire que j'aurais mieux fait de dévorer Van Helsing quand j'en avais l'occasion... Il ne m'aurait pas dénoncé.

L'homme me demanda de raconter mon histoire, sans rien omettre. Je le fuis du regard, serrant les dents. Je me sens de plus en plus mal à l'aise, mais c'est sûrement le but recherché. L'homme me proposa à boire, et, machinalement, je lui réponds :"Non merci... " Je préfère rester à jeun, et qui dit qu'il ne cherchera pas à me faire boire une quelconque drogue ? Restons méfiant. Je décide alors, après un long silence durant lequel je lutte contre le malaise, de répondre enfin : "Van Helsing vous a raconté toute l'histoire non ? J... Je ne lui ai c...caché aucun détail." J'inspire et reste un moment silencieux, à juger ses réactions du regard, avant de reprendre : "Mais soit. Je serais surement m...mort avant le lever du soleil, mais je dois p...protéger mes enfants." Je commence donc à parler. Mon récit, souvent entrecoupé par mon incessant bégaiement, reste cependant direct. Je ne perds pas de temps dans les détails. Je lui raconte tout : ma transformation en loup garou, la venue de ma famille dans la forêt et dans la meute, le massacre de cette dernière, l'ultimatum de mon maître. Je lui avoue que mon épouse fait maintenant partie de la race vampirique et qu'il n'y a plus rien à faire pour elle. Je termine sur ces quelques mots : "Sachez q...que j'agis uniquement dans l'intérêt de mes enfants, et p...pour leur survie. Je ne regrette rien."  

Je ne regrette rien, voilà ce que je lui ai dis...

L'homme reste impassible, et cela me rends beaucoup trop nerveux. Maudissant en secret Van Helsing, je détourne le regard, essayant de ne pas croiser celui de mon interlocuteur. Il m'avait écouté, tout du long, sans prononcer un seul mot, et j'ai vu ses yeux se promener entre mes mains, mon visage, mes épaules... A quoi pense t'il ? Quelle est la sentence qui va jaillir de ses lèvres serrées ? Vaut il mieux mourir de sa main ou de celle du Baron ? Bon sang, je me sens à la fois comme un enfant pris en train de commettre une bêtise et comme un condamné à mort qui attends son exécution.  L'animal en moi reste sur ses gardes, prêt à bondir au moindre mouvement brusque. Mon nez est empli de l'odeur de son eau de Cologne et de son café, c'est tout ce que je peux sentir chez lui. Pas la moindre colère, ni la moindre odeur de transpiration. S'il est en colère, ou nerveux, ou quoi que ce soit, il le dissimule avec brio, mieux que moi en tout cas. Si j'avais été sous ma forme animale, j'aurais surement eu le poil dressé et la queue entre les pattes. Je ne peux m'empêcher de relever discrètement ma lèvre supérieure, comme si je m'apprêtais à montrer les dents. Ce n'est qu'un geste défensif, car je ne me suis jamais autant senti en danger.

L'homme me remercia pour les précisions et me posa deux questions. Je tourne la tête vers lui et répondis à la première : J'i... J'ignore où ils s... S... Sont... Je ne sais même p... pas s'ils sont vraiment en vie. Je ne sais rien. Je sens les larmes perler au coin de mes yeux alors que la panique et le désespoir m'envahit. J'essuie mes yeux dans un geste rageur, furieux de me laisser aller ainsi à mes émotions, et je détourne encore le regard, préférant regarder le coin du tapis de sol plutôt que d'affronter le regard de l'homme.  Il me demanda ensuite pourquoi je n'avais pas parlé avant. Je fronce les sourcils. Il est idiot ou quoi ? Il doit bien se douter que, si je n'ai rien dis, c'était parce que j'avais une laisse autour du cou et qu'une lame menaçait la vie de ma femme et de mes enfants. Je lui renvoie un regard noir et, grognant presque, oubliant presque mon bégaiement, je rétorque : Pourquoi à votre avis ? Il aurait mis sa menace à exécution ! Je me rappelle alors d'une des consignes du Baron. Si je me trouve, seul, en présence d'une des têtes pensantes du Club, je dois le tuer. Tels sont les ordres. Je le regarde de haut en bas et baisse la tête, le regard toujours sur lui, sentant le loup en moi se réjouir de l'imminence d'un combat. Que faire ? Si je le tue, j'aurais le Club à ma poursuite, mais les vampires me protègeront... Si je ne le fais pas, il pourrait peut être retrouver ma famille... Mais que faire, qui croire ?

Quelques jours, quelques semaines... C'était déjà beaucoup trop.

Aurelius secoua la tête. Il savait que cet homme pensait bien faire, il savait qu'il voulait garder pour le Club cet atout utile et ô combien indispensable qu'était le loup du Baron. Mais il doutait. Il avait peur, il craignait pour la vie de ses enfants. L'homme disait que le club était efficace ? Grand bien lui fasse... Aurelius en doutait. Lui avait vu, il savait que les vampires n'avaient aucune limite. S'ils devaient sacrifier sa famille pour le maintenir en laisse, fidèle et sagement assis aux côtés d'Offenberg, ils le feraient. Aurelius dit alors, en plissant les yeux : Et comment comptez vous les retrouver ? A la moindre suspicion, ils se jet.. Jetteront sur eux. Affirmer que vous les retrouverez n'est pas un gage de bonne foi à mes yeux. Le valet se permettait un peu d'arrogance, afin de souligner qu'il avait quand même un rôle important à jouer dans cette histoire. C'était quand même beau de voir que le Club réclamait sa fidélité avec autant d'ardeur ! A croire que lui seul pouvait faire basculer la balance en la faveur du Club.

Le valet plissa les yeux face aux paroles de l'homme. Il lui reprochait ses actions et les victimes qui avaient été causées. Rien de plus normal en soit. Mais il réclama ensuite une réponse à sa précédente question. A savoir que, s'ils retrouvaient ses enfants, est ce que sa fidélité serait acquise. Aurelius n'hésita pas longtemps : Bien entendu. Je vous serais fidèle. Mais sachez que cela ne sera que dans laps de temps très court, je le c.... crains. P.. Pourquoi ? Aurelius haussa les épaules et reprit, en penchant la tête sur le côté : Si vous retrouvez et protégez mes enfants. Les vamp... Vampires sauront que j'ai vendu la mèche. Ils voudront ma p... Peau. Vous allez me dire :" On vous p... Protégera." Bien. Mais vos loups. Ou ceux qui ne vous servent pas. Eux savent qui je suis, et eux veulent venger leurs morts. Qui attaqueront ils en premier ? Le traitre. Vous ne pourrez pas me protéger des vampires et des loups. N'oubliez pas le Corbeau. P... Personne ne peut échapper à ses lames, pas même les vampires. Alors je vous le dis, très sincèrement. Si vous retrouvez mes enfants, vous gagnerez un loup, mais juste pour quelques semaines avec un p... Peu de chance. Est ce donc bien judicieux de me poser cette question ?