Jamais plus.

Jamais plus

Une nouvelle nuit sans lune s'annonçait. Il était temps, une fois de plus, pour le chasseur de partir.

Tout en enfilant son masque, l'homme croisa son reflet dans le miroir. Ce n'était plus un être humain qui lui renvoyait son regard, mais une créature de la nuit. Non pas un vampire, mais bien pire encore. Les suceurs de sang ont appris à le craindre, au fil des mois, au fil des ans, il est devenu cette ombre qui bondit dans la nuit, se complaisant dans la pénombre et frappant là où on ne s'y attendait pas. Il était devenu cet assassin, ce tueur de vampires qui, lentement mais surement, contribuait à réduire le nombre de ces malfaisantes créatures. Berlin en était encore infesté, mais ce n'était qu'une question de temps avant que Dracula ne comprenne qu'il était menacé. Le Club Diogène, à côté, devait faire pâle figure, car quelqu'un se chargeait du sale boulot, de ce travail sanglant et dévastateur. On avait fini par donner un nom à cette ombre. Un nom qui faisait frissonner les vampires, les hommes, les loups et tous les autres. Il était le Corbeau.

Le voilà à présent, juché sur les toits de Berlin, observant le sol et les habitants insouciants qui rentraient chez eux. Seuls demeuraient quelques inconscients qui osaient sortir après la tombée de la nuit. La plupart d'entre eux restaient en groupe, certains qu'ils ne se feront pas attaquer. Quels imbéciles, les vampires ne s'arrêteront pas parce qu'ils sont trois ou quatre. En voilà un qui se promène seul, sortant d'un bâtiment encore bien rempli. Le Corbeau reconnu cette salle de cabaret que Dante avait l'habitude de fréquenter. Il aimait y passer un bon moment, rire avec ses amis, profiter du spectacle... Ce soir, cependant, il le savait, c'était au Corbeau de s'amuser. Les nuits sans lune étaient celles qu'il préféraient, car les ombres le dissimulaient même aux yeux des vampires. Le Corbeau décide alors de surveiller cette proie facile, cet homme visiblement trentenaire, ou jeune quarantenaire qui, d'un pas sur et décidé mais néanmoins rapide, se hâte de rentrer chez lui. Après quelques minutes d'observation, Dante le reconnait. Abraham, le médecin. C'était un talentueux praticien qui avait plus d'une fois aidé Dante à se remettre d'une soirée un peu trop arrosée. Mais il n'avait jamais rencontré le Corbeau. Une chose cependant intriguait Dante, pourquoi Abraham se promenait il tout seul ? Il devrait demander une voiture pour rentrer chez lui sans risque.

A moins que ce ne soit voulu. A moins qu'Abraham ne cherche délibérément à se faire attaquer. Mais dans quel but ? Pour que tu le sauves. La voix de Dante éclata dans son esprit comme une bulle de savon. Le Corbeau n'eu pas besoin de réfléchir pour comprendre son raisonnement. Il était célèbre maintenant, son nom n'était plus seulement murmuré dans la nuit. Il était maintenant dans tous les journaux, et certains même avaient dessiné un corbeau sur les murs, à l'endroit où des cendres et des effets de vampires avaient été retrouvés. Abraham chercherait il à le rencontrer ? Il n'y a qu'une seule manière de le savoir. Alors que le Corbeau commençait à amorcer sa descente pour rejoindre le fils d'Adam, un enfant de la nuit plongea avant lui, droit vers Abraham. N'hésitant plus, le Corbeau se laissa tomber et atterrit aux côtés du vampire au moment où celui ci attrapait Abraham par le bras, enfonçant ses ongles tranchants dans la chair de son bras. Le suceur de sang laissa échapper un rire hystérique en voyant le liquide carmin s'échapper des plaies. Son rire s'étrangla dans sa gorge quand la lame d'argent du Corbeau transperça son cou. Blessé, mais pas encore mort, il se retourna, enragé, rendu fou par la douleur, et il se jeta sur son agresseur. Quelques instants plus tard, il s'évapora dans la nuit, n'étant plus que cendres. L'Oiseau de Proie resta debout, face au fils d'Adam, et il inclina le bec, en simple signe de salut.

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Jamais plus

Il n'a pas l'air très perturbé. Il n'a même pas réagi devant ton bec mon moineau.

Le Corbeau lâche un reniflement dédaigneux devant ce commentaire déplacé. Il s'en fiche bien si Van Helsing ne parait pas plus chamboulé que ça, au contraire, c'est tout à son honneur. Bien des hommes seraient tout tremblant après une attaque de vampires. C'est comme s'il avait l'habitude. D'un autre côté, il est médecin, il doit en voir des horreurs. Le Corbeau reste debout, tournant presque le dos au fils d'Adam, les sens aux aguets. Van Helsing saigne, et l'odeur risque d'attirer d'autres vampires. L'aube est encore loin, tant qu'il ne sera pas chez lui, Abraham est en grand danger, même s'il ne semble pas plus inquiet que cela. Il eut cependant une bonne réaction lorsqu'il recouvra sa plaie d'un mouchoir en tissu. Cela devrait dissimuler un peu l'odeur, sans pour autant la faire disparaitre, il valait mieux ne pas trainer par ici. Le Corbeau rangea son poignard dans son manteau, dans les fourreaux qui avaient été cousus à même le tissu, à l'intérieur du vêtement, puis il se tourna vers l'homme qui, après quelques secondes, avait pris la parole pour le remercier du coup de main. Il demanda ensuite s'il était une sorte de justicier ou s'il avait un compte à régler avec ce vampire là en particulier. Le Corbeau préféra ignorer sa question. Il ne se voyait pas comme un héros, ni même comme un criminel, mais plutôt comme une ombre vengeresse, un oiseau de proie qui fonçait sur ses proies, toutes serres ouvertes.

Il leva la tête vers le ciel. Nuit noire. S'ils disparaissaient dans la nuit, ils seraient un peu plus en sécurité, mais les vampires seraient plus difficiles à repérer. Devaient ils rester sous la lumière des luminaires ? Bonne question. Passer par les toits ? Pas dans l'état de Van Helsing, il ne ferait que mettre du sang partout. Non, il devait trouver une solution pour le mettre à l'abri, rapidement. Le Corbeau demanda alors, d'une voix calme : Habitez vous loin d'ici ? L'odeur de votre sang va surement attirer ses congénères. Cela n'arrangerait pas la situation, même si le Corbeau savait qu'il pourrait sans aucun doute faire face à de nouveaux ennemis. Dante eu alors une idée : Regarde où on est le volatile ! La maison n'est pas loin, à seulement quelques rues. Emmène le là bas, il y sera à l'abri jusqu'à demain. Pour une fois qu'il a une bonne idée celui là... Et ne me remercie surtout pas l'emplumé. Le Corbeau se tourna vers Van Helsing et dit alors : La demeure Uccello. C'est l'abri idéal, et c'est à côté. Connaissez vous son propriétaire ? Savez vous s'il sera là ? Au final, peu importe s'il est là ou pas, Dante reprendrait la main pour s'occuper de Van Helsing jusqu'à l'aube, ou jusqu'à ce qu'il puisse repartir. A voir ce que déciderait le médecin. Soit il accepte de prendre le risque de rentrer chez lui, soit il choisit la sécurité. C'est à lui de voir.

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Jamais plus

L'homme paraissait plus que surpris de la proposition du Corbeau.

Il avoua n'habiter qu'à deux rues de là, seulement quelques dizaines de mètres et il doutait très franchement de se faire rattaquer dans ce court laps de temps. Le Corbeau le savait, lui aussi, mais il ne pouvait s'empêcher de douter. L'odeur de son sang a du attirer bien des vampires à des lieues de là. Il ne serait pas étonné si tout un groupe venait à se présenter, écume aux lèvres, prêts à se jeter sur les deux êtres humains fragiles qui osaient se promener en pleine nuit. Manque de chance pour eux, le Corbeau savait se battre, il savait comment les anéantir, les faire disparaitre dans un nuage de cendre et de poussière. Nombreux sont les vampires à avoir succombé sous ses lames, nombreux sont les êtres de la nuit à avoir rendu leur dernier souffle avec pour seule et dernière vision ce masque d'oiseau sombre et inexpressif. Le Corbeau avait commencé à se construire une solide réputation, et il y tenait. Il tenait à ce que les vampires apprenent ce qu'est la peur, la peur de la Mort, la peur du Corbeau.

Pour l'heure, il fallait mettre Van Helsing à l'abri. Son rôle au sein du Club était bien trop important pour qu'il prenne le risque de le laisser rentrer seul chez lui même si, comme il le dit très bien, il n'habite pas loin. Et bien, rien de l'empêche de rendre visite à un ami, voilà ce que murmure Dante, dans les profondeurs de sa tête, voilà une idée qui n'est au final pas mauvaise. Le Corbeau l'emmène alors vers la demeure de Dante, marchant d'un bon pas, toujours alerte, main sur l'un de ses poignards, prêt à dégainer au moindre mouvement. Heureusement, les murs familiers font leur apparition et, sans un mot, le Corbeau toque à la porte et s'éclipse, laissant Van Helsing entrer dans le hall de la maison, afin de ne pas rester seul dehors devant la porte.

Le temps d'entrer par l'une des fenêtres; le temps de reprendre le contrôle; le temps de se changer, de passer un pyjama en velours, de décoiffer mes cheveux, et me voilà de nouveau moi même. J'enfile ensuite un peignoir et, pieds nus, je descends l'escalier menant au hall. Prenant un air surpris avec un air semi ensommeillé, je dis : "Abraham ? Je n'attendais pas ta visite ! Ne reste pas là voyons, entre donc !" Je le salue d'une franche accolade et remarque sa blessure. Je lui dis : " Mais tu es blessé ! Que s'est il passé ? Viens t'asseoir, je vais chercher de quoi te soigner." Je le fais asseoir dans l'un des fauteuils du salon et reviens peu de temps après avec de l'alcool et du coton. Je lui sers déjà un verre que je lui tends avec un sourire avant de m'attaquer à sa blessure. Tout en désinfectant, je lui demande :"Qui a bien pu faire cela ? Il ne t'a pas loupé mon ami ! Tu as bien fait de venir ici, tu seras en sécurité entre ces murs".

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Jamais plus

Notre stratagème a fonctionné.

Abraham ne se doute d'absolument rien. Il pense que je sors à peine du lit, tiré de mon sommeil par son arrivée et inquiet de le voir dans un tel état. Il faut jouer le jeu jusqu'au bout.

Le Corbeau se tait, me laissant gérer les choses à présent. C'est sans doute l'une des rares fois où nous œuvrons ensemble, sans se disputer, sans se battre pour le contrôle de notre corps. C'est la première fois où nous agissons de concert, passant le relai à l'autre pour continuer et achever notre mission. J'expose silencieusement cette pensée au Corbeau et, au fond de mon esprit, je sens sa satisfaction et son contentement. Oui, nous avons été efficaces aujourd'hui. J'espère qu'à l'avenir, cela se passera encore ainsi, mais, connaissant mon cher Corbeau, cela ne sera pas une chose facile. Les situations auxquelles il nous expose sont souvent délicates et, la plupart du temps, il est le seul qui puisse nous tirer de là en vie et en un seul morceau. Dans ces cas là, malgré ma frustration, je ne peux que le regarder faire et le laisser agir à sa convenance, impuissant. Aujourd'hui est donc une bonne journée pour nous deux, et c'est également une découverte qui, je le pense, nous marquera à jamais : nous pouvons travailler ensemble, nous pouvons nous entendre.

Je prends soin de mon ami, le faisant asseoir dans le salon et lui servant un verre d'alcool qui devrait le requinquer. Il a l'air en état de choc, et il est blessé. Je m'occupe donc de soigner sa plaie, de la désinfecter tout en le laissant savourer son verre et reprendre ses esprits. Il me parla d'un justicier masqué qui l'avait sauvé d'un vampire. Je ne peux m'empêcher de répondre, surpris : Un vampire ? Ici ? Bon sang Abraham, c'est grave. Ce quartier est pourtant l'un des plus surs de la ville. Si les vampires commencent à arpenter ses rues... Où va le monde ? Je pense ce que je dis. Si nous ne pouvons plus sortir la nuit sans risquer de nous faire dévorer, qu'allaient devenir le théâtre, la musique, les concerts qui se produisent généralement lorsque le jour fait place à la nuit ? Je souris quand il me remercia pour le verre et continue à bander son bras blessé. Je lui dis, en hochant la tête : Ce n'est qu'une égratignure, mais il vaut mieux rester prudent, l'odeur du sang risque d'en attirer d'autres.

Il m'interrogea ensuite sur le justicier masqué, me demandant si j'avais déjà entendu parler de lui. Je reste silencieux un moment et me redresse lorsque j'ai terminé ma besogne. Je nous ressers un verre à chacun et m'installe face à lui dans un fauteuil confortable que je tiens de ma famille. Je finis par lui répondre : J'en ai entendu parler oui. Son histoire est murmurée dans les salons. Un homme, vêtu de noir, portant un masque d'oiseau, semblable à ceux que portaient les médecins qui chassaient la Peste Noire. On dit qu'il se prétends être celui qui soignera le genre humain de l'épidémie vampirique, mais à la place de remèdes, il le fait à coups de poignards. Je détourne le regard et soupire avant de lui dire ensuite : Ils ont parlé de lui, dans le journal d'hier. Mais ils n'en savent guère plus que moi. On raconte qu'une cinquantaine, voire même une centaine de vampires sont déjà tombés de sa main... Mais je doute que ce soit la vérité. Un homme seul ne pourrait faire cela... Penses tu que ça soit un sorcier, ou un loup ? Qu'en penses tu, toi qui l'a vu et approché ?

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