En rentrant dans mon bureau après un cours je suis surpris de voir une petite enveloppe noire m’attendant sagement sur mon bureau. Jérôme, mon assistant qui semble capable de lire dans mes pensées, intervient alors que je dépose ma sacoche sur ma chaise.

Quelqu’un est venu déposer ça pour vous il y a environ vingt minutes. Le coursier a dit que c’était important, mais pas au point d’avoir à interrompre votre cours.
- Fort bien Jérôme merci. Au fait pensez à enregistrer le sujet d’examen d’anatomie pour les deuxième année auprès du bureau du doyen si vous voulez bien.
- Tout de suite Herr Van Helsing.

Une fois mon assistant éloigné je m’assure que la porte est fermée, que personne ne me voit ni m’entend, avant d’ouvrir rapidement l’enveloppe cachetée. Une des joies de travailler avec des sorciers, c’est qu’ils ont l’art d’enchanter certains objets les plus triviaux, comme cette enveloppe, pour faire en sorte que le message n’apparaisse qu’à son vrai destinataire. Pour n’importe qui d’autre, cette lettre venant du Club serait une invitation banale à un dîner ou un remerciement quelconque. Pour c’est un rendez-vous, mais bien plus important. Une entrevue avec Nikola Tesla.

Notre échange est bref, et je profite d’aller voir un opéra le soir-même dans ma loge attitrée pour m’éclipser pendant l’entracte, et filer par un passage secret jusqu’aux bureaux du Club. L’inventeur tchèque m’attend, occupé comme d’habitude à noircir des pages et des pages, concentré, avec une Thermos remplie d’un café noir à en réveiller les morts. Sa capacité d’invention et d’abstraction dans la réflexion est quelque chose qui m’a toujours fasciné… voir son esprit quitter les limites du réel, du quotidien pour s’abandonner à des vagabondages si abstraits et pourtant si cruciaux… Il relève la tête quand je me glisse dans la pièce et me sourit.

Bonsoir Antarès, comment allez-vous ce soir?
Fort bien et vous?
Bien bien, encore en train de travailler sur un nouveau projet. Je ne vous retiendrai pas longtemps, je sais qu’il y a des gens là-haut qui s’étonneront que le bon docteur ait disparu pendant l’entracte. Un de nos contacts, près de Berlin, m’a informé qu’il avait une piste pour retrouver le QG d’une meute de loup très ancienne dans la région mais décimée par Dracula quelques années auparavant, peu après son accession au pouvoir. Le lien en tant que tel est insignifiant mais des rumeurs courent comme quoi leur chef aurait été en possession d’une relique très puissante. Nous ne sommes pas sûrs de son pouvoir, mais il vaut mieux qu’elle nous revienne et que nous puissions l’étudier et la protéger qu’entre celles de nos ennemis. Dès ce week-end je vous demande de vous rendre dans la région, trouver la relique si elle existe bien, et la mettre en lieu sûr.
- Très bien.
- Savez-vous qui vous allez emmener dans votre mission?
- Je pense oui. Un loup à qui un peu d’air frais fera du bien.

Le tchèque rit, secouant la tête, puis se penche à nouveau sur ses dessins, me faisant comprendre que l’entrevue est terminée. Le lendemain je trouve une carte de la région glissée dans ma sacoche, soigneusement calée entre une liasse de copies d’élèves et un manuel d’anatomie. Magique. Je fais aussi passer le mot à Julian, avec qui j’ai déjà travaillé, et qui est sérieux et fiable bien qu’un peu taciturne.

Le jour J, Séverin me dépose aux abords de la ville et je m’équipe, vêtu d’une tenue de chasse habituelle dans le coin afin de donner l’impression d’être un bourgeois en promenade : culotte de velours côtelé, chaussettes montantes et löden, carabine sur l’épaule ainsi qu’un sac à dos contenant tout ce dont on pourrait avoir besoin. Ma voiture disparaît rapidement pour se garer sans éveiller les soupçons et je reconnais la silhouette de Julian qui m’attend, ponctuel comme à son habitude.

Bonsoir Sirius, comment vas-tu? Je me porte comme un charme, merci de t’en inquiéter. Quoi de beau?

Nous nous éloignons, discutant comme le feraient deux amis en promenade, et c’est seulement lorsque nous sommes plus loin d’éventuelles oreilles indiscrètes que je me penche vers lui pour lui répondre.

Une carte censée nous mener dans la bonne direction mais je n’ai pas la localisation exacte. Peut-être que tes sens de loup pourront t’aider à « sentir » la présence de la cache d’une meute?

Je tire de ma poche la grande feuille que je déplie. Dessus une flèche scintillante pointe dans la bonne direction, flèche qui bouge en fonction de nos mouvements. Je me tourne vers lui, souriant.

Mais quelle merveille que la magie, ne trouves-tu pas?

Puis nous nous mettons en route, et je replie la carte, observant autour de moi pour vérifier que nous ne sommes pas suivis, nous approchant de la forêt.